«La vision est globale mais les priorités des uns et des autres diffèrent selon les Etats. Compréhensible». Vendredi 17 mars 2017, la salle du Palais des congrès de Dakhla affiche complet à la grande satisfaction des organisateurs de la 3ème édition de Crans Montana Forum ! Tous les moyens ont été mis en place pour faire de l'événement une réussite. Le choix de Dakhla n'est pas fortuit et les enjeux sont clairs. Le message royal introduira la session plénière. D'entrée, le rôle du Maroc dans la construction de la nouvelle Afrique prédomine. En atteste cet extrait : «(...) Le Maroc a foi dans la capacité de l'Afrique à relever les défis auxquels elle est confrontée et à favoriser le développement humain et durable de ses peuples, eu égard aux ressources naturelles considérables et aux importantes compétences humaines dont elle dispose. Toutefois, la renaissance africaine souhaitée reste tributaire du degré de confiance que nous avons en nous-mêmes et de la nécessité de compter sur nos potentialités et nos capacités propres et d'en faire un usage optimal, dans le cadre d'une coopération Sud-Sud rentable et d'un partenariat stratégique et solidaire entre les pays du Sud (...)». Développement durable, sécurité alimentaire, santé, éducation, entrepreneuriat sont les mots qui reviennent en boucle, au fil des discours des intervenants, choisis par les organisateurs représentés par Jean-Paul Carteron, président d'honneur et fondateur du Crans Montana Forum. Et c'est Emmanuel Quirin, président actuel de ladite fondation, qui présentera le panel réunissant des hommes et des femmes publics d'horizons divers (politiques, spirituels et économiques). Invitant la salle à se donner la main, le pasteur Jesse Jackson a rappelé l'avenir intolérable de certains pays d'Afrique. «Nous sommes en train de créer des murs entre les peuples. Les crises migratoires illustrent cette image». En bon orateur spirituel, l'homme poursuivra d'un trait son discours... «Je suis heureux que cet événement ait pu réunir des personnes en dehors de leur croyance». Un clin d'œil sans doute à tous les conflits de religion... Le rappel de certains chiffres par le pasteur Jesse Jackson plante le décor d'une séance qui a duré plus de trois heures. La nécessité de monter des fonds pour investir dans les infrastructures et endiguer par la même occasion le chômage ; telle est la vision de l'homme. Il ira même loin en affirmant que la monnaie africaine ne doit pas être un rêve. Cela dit, l'expérience européenne en matière de politique monétaire à ce niveau a démontré les limites d'un tel choix. Dans l'absolu, l'appel à la coopération Sud-Sud se veut factuel mais indique que certaines études pointues devront être élaborées pour faire ressortir les indicateurs clés. Ce n'est qu'avec des tableaux de bord clairs et étayés que la prise de décision sera rendue possible. Les pays africains devront profiter des expériences européennes pour ne pas commettre les mêmes erreurs. L'homme ira plus loin en ces termes : «Les pays occidentaux ne doivent pas venir nous tenir en otage». La tonalité des discours variera en fonction du vécu des uns et des autres intervenants, laissant la salle libre de toute analyse et déduction. Mais ce qui reviendra clairement c'est que c'est le Maroc qui s'est démarqué pour œuvrer dans l'édification de cette coopération Sud-Sud. «Les efforts dans ce sens proviennent du Maroc», rappellera-t-il. «Le Maroc devra aider pour une meilleure intégration des autres pays africains. Nous avons tous des compétences différentes et c'est pourquoi les chefs d'Etat ont un rôle important dans cette démarche». Le ton dans la salle est donné. Et ce sera au tour du secrétaire adjoint des Nations Unies, Philippe Douste-Blazy, de prendre la relève en ouvrant son discours par la problématique liée à la pauvreté dans les pays d'Afrique. L'onusien citera l'exemple de la Chine qui a su, en trente ans, mettre en œuvre un plan de solidarité de telle sorte à endiguer la pauvreté. «J'exhorte l'Union africaine à faire de même». C'est ainsi qu'il invitera l'audience à réfléchir à des solutions innovantes qui ont déjà été appliquées en France. Il s'agit de l'établissement d'une taxe sur les transactions financières fixées à 0.01% qui permettra de lever des fonds dédiés à venir à bout de la pauvreté. La France a accepté le deal en instaurant ce type de taxe. «La généralisation aux autres pays européens est à l'étude. Les bénéfices de ce type d'engagement sont nombreux, pour ne citer que la maîtrise des flux migratoires. Le drame des côtes libyennes à lui seul interpelle et permet de tirer la sonnette d'alarme à l'ensemble des acteurs internationaux tant l'impact géostratégique est dangereux». Ambitieux. Mais l'expert s'appliquera à donner des exemples concrets pour démontrer l'utilité de la démarche. Sur un registre purement humain, l'accès aux médicaments devra être solutionné par une augmentation des budgets du ministère de la santé. Les Nations Unies préconisent une élévation du taux du budget «santé» sur le budget «total» d'un pays donné, de 6 à 15%. «Le Maroc l'a fait et nous invitons les autres pays africains à en faire de même», rappelle le représentant des Nations Unies. Ces aides iront dans l'éradication de certaines maladies pour ne citer que la maladie de malnutrition chronique qui est très courante. Pathologie silencieuse, les symptômes apparaissent après 1.000 jours de vie et se résument en la destruction de 30% des neurones. Cette maladie qui se traduit par une carence double en vitamine B1 et B5 est très courante dans les pays africains. L'enjeu est crucial. L'homme rappellera que «même si l'Afrique admet un potentiel énergétique très important, il n'est pas encore exploité. Le paradoxe est réel. Mais là encore, le Maroc a été pionnier dans ce domaine». Le développement du numérique permettra aussi de créer de la plus-value intellectuelle et de générer de nouveaux métiers propices à une résorption du chômage dans les pays africains dont la moyenne d'âge atteint généralement 20 ans. Pas en reste, la vitalité artistique permettra de développer un esprit ouvert et propice à la diplomatie. Le raisonnement de l'onusien pousse à la réflexion puisque l'art représente le parent pauvre de tous les pays en voie de développement. Ce sera au tour du président de la République de Vanuatu (Etat d'Océanie situé en Mélanésie dans le sud-ouest de l'océan Pacifique), Baldwin Lousdale, de prendre la parole pour rappeler à son tour les enjeux et les défis retenus par ledit forum. Le choix de la personne est simple à comprendre : les îles du Pacifique sont aussi concernées par cette coopération Sud-Sud. Une coopération qui a été appelée à être revisitée pour intégrer ces parties insulaires du monde (Iles Fidjis). Le chef d'Etat n'omettra pas de rappeler que le Maroc soutient ses actions dans le cadre du développement durable. «Le Maroc est une plate-forme qui nous permet de créer l'échange. Nous avons pu de notre côté développer des actions de partenariat avec les pays voisins pour assumer la responsabilité de leur propre développement», affirme de son côté Aboubakr Boukola Saraki, président du Sénat du Nigeria. «Le terrorisme facilité par les crises transfrontalières devra être maîtrisé aussi de cette manière». Tout est dit. Les enjeux sont clairs. Même le projet du gazoduc entre le Nigeria et le Maroc a été annoncé ! Le père de la démocratie en la personne de Rupiah Banda, ancien président de la Zambie, prendra la parole à son tour pour prôner la nécessité de l'inclusion dans la sécurité territoriale. Le volet médical représentant aussi une préoccupation ultime. La prise de conscience est réelle. La vision est globale mais les priorités des uns et des autres diffèrent selon les Etats. Compréhensible. Du côté des Iles Salomon, la nécessité de réhabiliter la femme et l'enfant est une urgence. Elle a été clairement plébiscitée par Freda Tuki Soriacomua, chargée de la question en sa qualité de ministre de la femme, de la jeunesse et de la famille. La problématique de la parité est aussi un dénominateur commun à tous les pays représentés lors du Forum. «5% seulement des hauts fonctionnaires sont des femmes. Le manque d'accès aux marchés financiers et aux formations spécifiques représente des obstacles au développement de ces îles». Le rapprochement avec des pays qui bénéficient déjà d'expertise dans ce domaine pourrait être salutaire. Le Maroc pourrait saisir cette opportunité sans plus tarder. Et pour légitimer davantage la place de la femme sur l'échiquier politico-économique, c'est Cheikha Hissah Saad Al Salem Al Sabah, présidente koweitienne de la Confédération des femmes entrepreneurs des pays arabes qui a été invitée à témoigner de son expérience et de son militantisme. «Aujourd'hui, nous rassemblons 22 Etats arabes. La femme entrepreneur arabe a pu bénéficier d'actions d'accompagnement pour développer son business. Nous sommes parallèlement en train d'élargir notre coopération et nous ne sommes pas contre le fait d'ouvrir nos portes aux femmes d'affaires africaines». Les discours sont longs et passionnés. Le choix des intervenants judicieux… Et c'est d'ailleurs Moustapha Cisse Lo, président du Parlement de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest), qui a été choisi pour clôturer les travaux de la séance plénière. «Ce forum nous a permis d'échanger. Cette marque d'attention va au-delà de ma personne et vise toute l'Afrique de l'Ouest». Il faut dire que le Maroc vient d'introduire sa demande d'adhésion à ladite communauté. «Si le Maroc suit l'ensemble des traités de la Communauté de l'Afrique de l'Ouest nous accepterons sa candidature bien sûr», affirme le porte-parole de la CEDEAO. Le message est clair. D'une pierre deux coups, le Forum a permis d'identifier les points de convergence entre le Maroc et les autres pays africains hôtes. La médiatisation d'un tel événement à l'échelle nationale et internationale permettra également de valoriser la ville de Dakhla désormais symbole des provinces du Sud et rappel d'une culture à part entière. Les débats qui se poursuivront jusqu'à aujourd'hui seront en effet ponctués de festivités pour témoigner de l'hospitalité marocaine. Les autorités locales et sécuritaires plus que présentes signent un engagement clair à rétablir les équilibres entre les deux extrémités du pays. Le lobbying n'a pas de prix. La cause non plus.