Face aux craintes d'intoxication, de nombreuses personnes préfèrent acheter leur nourriture et veiller sur sa cuisson… Exemple d'un gril que tous les noctambules de Rabat connaissent. Les gens se méfient de plus en plus de la nourriture des snacks ou des gargotes. Ils ne font pas confiance aux plats que l'on leur sert, à l'huile à l'apparence douteuse, aux morceaux de foie, aux boulettes de Kefta, aux saucisses – pourtant mises en évidences dans des vitrines frigorifiées. «Je préfère acheter ma viande et la donner à Ba Omar, plutôt que de manger en priant le ciel pour me réveiller le lendemain», dit Kamal, un célibataire endurci. Ba Omar tient un célèbre grill au quartier Akkari à Rabat. La fumée de ses grillades s'élève plus haut que toutes les gargotes du coin. Elle est plus appétissante aussi. Placé juste en face des bouchers du marché, son étalage ne désemplit pas. Il arrive vers 19 h et reste jusqu'à une heure tardive. Il a obligé les bouchers du coin à retarder les heures de leur fermeture. À minuit, ils sont encore ouverts. Depuis que Ba Omar est là, leurs ventes ont augmenté. La clientèle de Ba Omar est hétéroclite. Elle se compose massivement de noceurs, de noctambules, mais aussi de célibataires, d'amateurs de méchouis et de familles qui estiment que la main de Ba Omar n'a pas son pareil pour les grillades. Ba Omar commence par installer une table. Il l'équipe d'un long brasero rempli de charbons de bois, et allume très lentement le feu. Puis, il dispose dans une bassine en plastique le contenu d'un bidon : des oignons hachés. Un autre récipient contient du sel mélangé à du cumin. Il est versé par à-coups dans le papier kraft des bouchers. Ba Omar est aidé par sa femme et un assistant. Ils sont donc trois personnes à travailler dans un commerce de fortune. Les deux aides de Ba Omar sortent l'attirail nécessaire à leur travail : des jetons, du pain à couper par deux et l'eau à bouillir pour faire du thé. Vers 19h 30, les premiers clients arrivent. Ils achètent de la viande hachée, des côtelettes, des saucisses ou du foie généralement chez l'un des bouchers d'en face. Ils remettent leur paquet à Ba Omar contre un jeton. Parce qu'il ne s'agit pas de se tromper en mélangeant 500 grammes de kefta avec 200 gr. Chacun est sûr de retrouver sa viande. Les deux assistants du maître du grill ne touchent jamais à cette viande. C'est au chef de l'assaisonner, en la malaxant avec une fermeté qui en dit long sur la longue expérience de l'intéressé. Difficile de donner un âge à Ba Omar. Il doit être quinquagénaire. Ses mains dodues communiquent la baraka à la viande, assurent ses fidèles clients. Il les trempe souvent dans l'eau avant de malaxer la kefta. Personne ne se pose de questions sur l'état de propreté de ses mains. Et si l'on se hasarde à douter de l'hygiène de ce grill, l'on risque le lynchage par ses inconditionnels. «À ma connaissance, personne ne s'est jamais plaint de l'hygiène de Ba Omar. Personne n'est jamais tombé malade, après avoir mangé ici», assure Kamal. Ce dernier fait partie des affamés noceurs, prêts à tout pour faire taire leur ventre. Ce sont eux qui ont fondé la réputation du grill de Ba Omar à Rabat.