Najia Boudali, enseignante universitaire, militante des droits de la femme et présidente de l'association Synergie civique, s'exprime sur le problème des femmes battues. Aujourd'hui Le Maroc : Où en est le processus du combat de la violence contre la femme ? Najia Boudali : Depuis 1995, les instances internationales et en particulier l'ONU organisent régulièrement des campagnes visant l'éradication de la violence contre la femme et tout autre forme de discrimination. Tous les pays membres de l'ONU ont adopté cette nouvelle vision et ont reconnu que le phénomène de la violence contre la femme est une entrave de taille au développement prôné par les pays en voie de développement. Depuis plus de quatre ans, le Maroc est sérieusement engagé dans ce processus en œuvrant pour mettre de la lumière sur le phénomène et ses conséquences sur le tissu familial et par ricochet sur la société marocaine. Il existe aujourd'hui plus d'organismes qui s'intéressent au phénomène sans parler des médias. Mais il ne faut pas que ce soit limité dans le temps et relatif à des occasions. D'un autre côté, il faudrait que les campagnes menées dépassent le statut de sensibilisation pour se transformer en un esprit éducateur. Et puis il n'y a pas que la violence physique comme l'on peut déduire des spots publicitaires conçus pour sensibiliser l'opinion nationale au phénomène. On ne devrait pas se contenter des images et des simples slogans, il faudrait incruster dans les esprits que la violence contre la femme est un phénomène très compliqué, contre lequel, la lutte a lieu d'abord par nos comportements, que se soit au sein de la famille, dans la rue, dans les lieux de travail ou dans les espaces publics. Les militantes et militants pour la cause féminine en veulent au Code pénal qui n'est pas très clair dans ce sens, qu'en dites-vous ? Je voudrais d'abord parler du Code de la famille qui pour la première fois de notre Histoire parle directement de la violence contre la femme. C'est en grande partie grâce au discours Royal qui a élaboré les principales orientations de la réforme en exigeant le respect de la dignité de la femme et de ses droits humains. La femme peut même demander le divorce si elle subit une quelconque violence. En d'autres termes, la violence à l'encontre de la femme équivaudrait automatiquement au non-respect des clauses du contrat de mariage. Quant au code pénal, il parle de tout ce qui concerne la relation des conjoints sauf de deux cas. Le code considère comme un délit, le délaissement familial volontaire (départ du conjoint) vis-à-vis de la femme et des enfants. Considéré également comme un délit l'abandon de la femme enceinte, mais le code ne parle pas directement de violence de la part du conjoint même si ces deux délits constituent une autre forme de violence. Jusque-là tout a l'air normal. En revanche, et c'est là le premier cas, le code fait textuellement état de la violence contre les parents ou contre les enfants et la sanctionne sévèrement ; ce qui n'est pas le cas pour l'épouse. Et cette lacune accentue le risque de la propagation du phénomène. Deuxièmement, lorsque le code pénal parle d'adultère. Dans le cas où le mari trouve son épouse en flagrant délit et la violente, il peut textuellement bénéficier de circonstances atténuantes ; ce qui n'est pas le cas pour la femme. C'est comme si l'on encourageait l'homme à l'adultère pour et on réprimandait la femme pour les mêmes raisons. Même les simples citoyens risquent d'être assujettis à des poursuites judiciaires s'ils cachent une femme mariée fuyant la violence conjugale. Vous pensez qu'une rectification d'ordre judiciaire contribuerait à l'élimination du phénomène de la violence ? Entre autres, oui. Car, comme je l'ai signalé, la violence contre la femme est d'une grande complexité. On ne peut en aucun cas mesurer le degré de violence subie par la femme au sein de son foyer, faute de témoins. Il y a aussi la violence sexuelle. Un sujet tabou dont toutes les complications retombent sur le dos de la femme qui ne peut en aucun cas en parler. Il existe aussi cette violence morale causée par un mauvais comportement de la part de l'époux à l'égard de sa femme, même sans violence (menaces, répression verbale constante etc…). Ce sentiment de dégradation pousse la femme vers une inévitable dépression qui se répercute sur la famille dont le noyau finit par craquer. En d'autres termes, on est loin d'être sorti de l'auberge ? Il y a certes beaucoup de choses encore à faire. Tous ces phénomènes de violence que l'on voit, que ce soit au sein du foyer, dans la rue, ou n'importe où, sont l'héritage dû à un déséquilibre flagrant entre les deux sujets à savoir l'homme et la femme. Je viens justement d'acquérir un petit livre publié par l'Institut mondial de la pensée islamique intitulé « la violence contre l'épouse est un moyen pour régler les problèmes conjugaux ». Je l'ai trouvé dans la librairie à 10 dh seulement. Sommes-nous encore au Moyen-âge ? Que penseraient des enfants qui liraient ce genre de titres ? La responsabilité est donc plus large pour ne dépendre que des campagnes de sensibilisation ou de quelques amendements. Il faut éradiquer l'esprit patriarcal.