Entretien avec Asmaa Houri, metteur en scène ALM : Vous avez conçu votre nouvelle pièce de théâtre «Automne», présentée récemment en avant-première, sur la base des mémoires de votre sœur. Y êtes-vous restée fidèle ? Asmaa Houri : Au fait, c'est une pièce de théâtre que ma sœur a écrite, c'est un monodrame en hommage à toutes les femmes qui souffrent en silence de cette maladie qu'est le cancer. D'ailleurs dans la première page de son manuscrit elle a minutieusement noté que c'est un texte inspiré des vies de personnes atteintes de cancer, donc ce n'est purement pas un travail autobiographique, ceci dit, elle faisait aussi partie de celles qui souffraient en silence à cause de cette maladie. Que son âme repose en paix. Le texte original a évidemment subi des modifications afin de lui donner une forme dramaturgique et scénique conforme avec la vision de mise en scène que j'avais proposée. Le texte est personnel. L'avez-vous traité affectueusement ou raisonnablement ? Je crois que même si le texte ait été écrit par une personne autre que ma sœur, j'aurai été affectée de la même manière, avec la même sensibilité et le même engagement. Nous sommes tous concernés en quelque sorte. Le texte condamne justement l'indifférence et l'insouciance de l'autre et des autres vis-à-vis de la souffrance de celles et ceux qui ont le cancer et sanctionne la stigmatisation de cette maladie. Ceci dit, il m'est arrivée des fois où ma sœur était présente devant moi, vu que je l'ai accompagnée de près durant sa longue maladie. Pourquoi focaliser sur la relation de la femme à l'homme dans la pièce ? Car le texte raconte, entre autres, l'histoire d'une femme malade de cancer qui découvre que son vrai cancer, en plus de la maladie, n'est rien d'autre que «le comportement insensible et inhumain de l'homme avec qui elle vit et qu'elle aime». Mais pourquoi faire de l'homme une personne assez dure ? Je ne fais pas de l'homme «en général» une personne dure, loin de là, j'ai essayé d'éviter de généraliser. Dans la pièce on pointe du doigt un personnage spécifique bien décrit par la dramaturge Fatima Houri, il s'agit d'un homme «insensible et inhumain». C'est un cas isolé, un homme parmi les hommes qui sont aussi sujet de la maladie et du même traitement d'indifférence, quand c'est le cas, de la part de leurs femmes. La question est plus sur les relations et les comportements qu'engendre la maladie beaucoup plus que sur ses instigateurs. La pièce peut très bien être l'histoire d'un homme malade qui relate son expérience avec une femme insouciante et indifférente. Cet homme n'est pas présent dans la pièce que dans le discours de la femme et à travers un simple costume accroché à un cintre. C'est un homme Méphisto, sans conscience et sans scrupule, qui n'a pas de visage. Comment expliquez-vous les chorégraphies abondantes dans la mise en scène de la pièce ? J'ai opté pour une forme qui se base sur le langage du corps (mouvements, gestes, refrain d'actions et de réactions) comme forme d'expression afin de raconter et dévoiler l'état psychologique des personnages et de m'éloigner le plus possible de la forme «Pathos» que peut exiger ce genre de sujet qu'est le cancer. C'est une forme qui m'a aidée à aller au-delà du mot pour frôler le non-dit et l'invisible. Et pourquoi le choix de la musique en live ? Comme la chorégraphie, la lumière et le verbe, la musique est aussi une expression artistique qui complète mais aussi déclenche le jeu. Tout se joue dans le «ici et maintenant», tout s'interpénètre et donne mutuellement naissance à l'autre, selon un rythme propre à chaque représentation et selon la dynamique que les différents intervenants artistiques composent, et donc j'imagine mal comment une musique préalablement enregistrée puisse servir un tel défi de performance. D'ailleurs dans la majorité des productions de «Théâtre Anfass», la musique a toujours été en live, justement dans cet objectif de création. Pourquoi révélez-vous des comédiennes au début de leur carrière alors que votre troupe, Anfass, est professionnelle ? Nous travaillons toujours selon un casting préétabli quant au choix des comédiennes et comédiens et qui sont toutes et tous très compétents et professionnels. Nous n'avons aucune prétention de révéler qui que ce soit. Prévoyez-vous une tournée pour votre pièce de théâtre ? Pour le moment, une date est retenue, c'est le 17 octobre prochain au théâtre national Mohammed V qui a collaboré par rapport à la production de la pièce, c'est la date de la première représentation. Nous espérons pouvoir décrocher une tournée après ça, en tout cas nous y travaillons surtout que la pièce est une autoproduction, ce qui ne facilite pas les choses mais nous cherchons toujours des partenaires et collaborateurs pour organiser notre tournée. Vous avez à un moment fait les planches. Ne vous manquent-elles pas ? Je ne peux pas faire les deux à la fois. Il est vrai que j'ai suivi une formation de comédienne à l'ISADAC et que j'ai pas mal joué au Maroc et ailleurs, mais bien après j'ai poursuivi mes études en Suède pour pouvoir exercer mon métier de metteur en scène. Pour le moment, j'opte pour la mise en scène que je veux faire correctement et la possibilité de rejouer en tant que comédienne n'est pas tout à fait à écarter. Vous étiez en Suède et vous aviez décidé de ne pas rentrer au Maroc. Comment expliquez-vous ce changement d'idée ? J'ai vécu environ 12 ans en Suède. J'y ai appris la langue, entamé une carrière dans le théâtre. Aussi, je faisais partie du projet international de théâtre qui rassemblait plusieurs pays. Mais à un moment, le retour s'imposait parce qu'on revient toujours aux origines, et bien sûr certaines circonstances ont favorisé ce retour notamment ma rencontre avec mon époux, Rachid Bromi, et d'autres personnes qui m'ont encouragée à revenir. C'est ainsi qu'à mon retour, j'ai fondé la compagnie «Anfass» avec Issam El Youssefi et Rachid Bromi. Quel serait l'apport professionnel de votre mari pour vous ? Si j'ose utiliser ce mot ; c'est mon co-rêveur dans ce domaine de création. Ensemble nous essayons de donner le souffle et la continuité à notre troupe de théâtre Anfass. Etait-ce facile de réintégrer le théâtre marocain? A vrai dire, je me sentais toujours partie prenante du corps théâtral marocain peu importe le lieu où j'exerce ce métier, d'abord c'est au Maroc où j'ai commencé à faire du théâtre et puis beaucoup d'expériences théâtrales marocaines sont très intéressantes et d'un niveau tel que parler d'une réintégration serait pas tout à fait exact, et donc c'est évident que depuis mon retour définitif au Maroc pour partager et exploiter mon expérience de la Suède, je me retrouve dans mon élément. Les femmes metteurs en scène sont assez rares. Pourquoi à votre avis ? Je n'ai aucune idée sur les femmes dans le domaine de la mise en scène. J'espère que d'autres femmes s'intéresseront à ce métier dans les jours à venir. Même si pour ma part, je privilégie les compétences et non le genre. Comment s'imposer dans un milieu masculin ? Ce qui compte c'est le bon travail et la persévérance, qu'il soit fait par un homme ou par une femme, cela ne fait aucune différence.