Directeur du quotidien algérien «Le Matin», Mohamed Benchicou a publié à la veille des présidentielles algériennes un livre pamphlet, «Bouteflika : une imposture algérienne», qui retrace la carrière politique et militaire du président Abdelaziz Bouteflika. Le livre, qui a fait l'effet d'une bombe, a valu à son auteur deux ans de prison ferme. Une kermesse culturelle s'ouvre à Paris le 31 décembre 2002 pour ne se clôturer qu'en décembre de l'année suivante, une procession de galas, d'expositions de toutes sortes, de films et de pièces de théâtre proposés au public français au moment où Alger ne dispose même pas d'une salle de cinéma digne de ce nom ! Le président algérien n'obtiendra pas d'investissements de la part de la France, mais se contentera d'un match de football France-Algérie, en octobre 2001, que ne justifiait ni le niveau respectif des deux équipes ni le moment. Organisé sans préparation, dans un contexte de passions électriques entre les deux pays et les deux communautés, le match tourne au cauchemar : l'hymne national français est hué par une partie du public, et le terrain est envahi par les supporters algériens mécontents de la correction que subissait leur équipe (4 buts à 1). Le match restera comme le plus noir souvenir de l'année pour les Français : 69 % des internautes français, interrogés par le sondeur Jérôme Jaffré, affirment que la Marseillaise sifflée lors de France-Algérie est l'évènement qui leur a le plus déplu dans l'actualité française. « Plus que le jugement de la Cour de cassation empêchant le jugement de Jacques Chirac pendant la durée de son mandat, bien plus que la diffusion de “Loft Story”, c'est la Marseillaise maltraitée par le public au Stade de France qui a choqué en 2001, explique Jérôme Jaffré. Aux yeux des internautes qui se sont exprimés ce n'était pas un simple match de foot. Ce soir du 6 octobre, au Stade de France, l'événement était autant politique que sportif. Il s'agissait de la première rencontre entre l'équipe nationale d'un pays colonisateur et celle d'une ancienne colonie, dont beaucoup d'enfants vivent en France. Les sifflements du public, composé pour beaucoup de jeunes Français issus de l'immigration, ne pouvaient donc être reçus comme de simples sifflets de supporters irrespectueux. En l'occurrence, le geste était politique. Il exprimait une rancœur, un certain mal de vivre qui a été vécu par beaucoup d'internautes comme une provocation, une atteinte à leur fierté nationale, ce qui explique pourquoi ils l'ont gardé en mémoire.» Les caprices français de Bouteflika ne seraient pas oubliés de sitôt. Bref, on était loin des bravades verbales de 1999 par lesquelles le président nouvellement élu, imitant Boumediène, comme à Rimini, en Italie, où il plastronnait : « J'appartiens à cette génération qui connaît le prix de l'indépendance nationale et, par voie de conséquence, je ne suis en aucune manière autorisé à la brader, encore moins pour des coquetteries intellectuelles. » Quatre ans plus tard, le président Bouteflika s'oublie à faire du charme à Jacques Chirac : « Vous représentez pour les Algériens un militant infatigable des causes des pays et des peuples du tiers-monde», lui écrit-il le 30 octobre 2003. Ahmed Taleb Ibrahimi a une sentence pour résumer le tout : « Bouteflika est resté avec le complexe du colonisé. » C'est vrai qu'il était décidément déjà bien loin le temps où Abdelaziz Bouteflika, au paroxysme de la parodie boumediéniste, apostrophait Chirac depuis Monaco : « Avec moi plus qu'avec tout autre, je dis bien avec moi plus qu'avec tout autre, jamais, moi à la tête de l'Etat, je ne permettrai d'ingérences extérieures dans les affaires de l'Algérie. Est-ce que la France me donne la possibilité d'interférer dans ses affaires pour dire que je ne suis pas insensible au problème des sans domicile-fixe ou bien de ceux qui ont une allocation chômage qui n'est pas suffisante et qui ne leur permet pas de joindre les deux bouts ? » Deux années plus tard, en automne 2001, Chirac, traînant derrière lui Bouteflika, entrait en conquérant à Alger, évoquait habilement Sidi Fredj d'où est partie la présence coloniale et se faisait accueillir en héros à Bab El Oued aux cris de « Chirac des visas ! » par la population victime de meurtrières inondations. Chirac vengeait l'affront fait à Giscard d'Estaing en 1975, sous le regard admiratif et complaisant de Bouteflika qui venait, définitivement, ce matin-là, dans Bab El Oued trahie, de prouver qu'il ne serait jamais un second Boumediène. Chirac répond à la foule, à propos des visas, « Je vous ai entendus » qui rappelle le fameux « Je vous ai compris » de De Gaulle. Car Boumediène n'ayant pas ressuscité, la dignité n'est donc pas revenue, le chômage n'avait pas disparu et les Algériens étaient toujours plus nombreux, en cette année 2001, à vouloir quitter le pays. Bouteflika en fera lui-même l'amère expérience qui se verra scander au visage « Donnez-nous des visas et laissez-nous partir, Monsieur le Président ! » par les étudiants de Constantine à qui il entreprenait de faire un lénifiant discours sur Ben Badis le 16 avril 2003. C'est qu'un mois auparavant, une folle rumeur avait précédé la seconde visite de Jacques Chirac à Alger : le président français annoncerait la suppression des visas entre la France et l'Algérie ! Le «Messie» français s'en sortira par une parabole moralisatrice à l'adresse des candidats à l'émigration : «Fuir votre pays, c'est aussi renoncer à le transformer, vous qui incarnez l'espoir de forger un pays à la mesure de vos rêves !» La déception de la jeunesse algérienne sera à la hauteur de la galéjade, mais ils étaient de plus en plus nombreux dans l'Algérie de Bouteflika à passer la nuit devant les consulats de France dans l'espoir d'un visa et de plus en plus nombreux à l'obtenir : 183 000 visas délivrés en 2002, selon une enquête du Parisien, soit quatre fois plus qu'en 1997, où seulement 47 000 visas avaient été délivrés. L'ambassade de France croule en ce début d'année 2003 sous les demandes de visas, «jusqu'à 3 000 demandes de visa par jour», précise le même journal. Devant le nombre croissant d'Algériens débarquant dans l'Hexagone, l'opinion française prend peur. Un sondage du CSA effectué les 5 et 6 mars 2003, soit deux jours à peine après le retour d'Alger du président Chirac, révèle qu'à peine 1 Français sur 10 seulement serait favorable à une augmentation du nombre de visas au profit des Algériens. Le spectre de l'immigration clandestine se dessine et le ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, débarque à Alger le 23 octobre 2003, chargé d'obtenir du président Bouteflika une coopération pour le rapatriement des dizaines de milliers d'Algériens vivant en France en situation irrégulière. Les autorités algériennes ont-elles acquiescé ? Sarkozy lance une phrase sibylline à la presse pour toute réponse : «Nous sommes d'accord sur tout, y compris sur ce que nous ne vous dirons pas. » Cela suffit pour que les journalistes doutent : « Le ministre français a-t-il reçu l'aval des autorités algériennes pour amorcer les expulsions des sanspapiers algériens ? » s'interroge Le Matin pour lequel la réponse ne semble pas participer de l'énigme. Boumediène ne pouvait décidément pas se réincarner en Bouteflika. Il suffisait à ce dernier de se réclamer du modèle pour s'en croire exonéré des servitudes. Les Algériens regardent leur président promettre et se dédire. A l'image de Boumediène, Abdelaziz Bouteflika annonce ostensiblement vouloir de « vrais hommes d'Etat » dans son gouvernement. « J'aime les hommes d'Etat, j'aime les grands commis de l'Etat et il est tout à fait clair qu'il s'en trouve dans toutes les formations et, par voie de conséquence, je ne serai pas insensible aux différentes sensibilités qui existent dans le pays.