Les différentes cérémonies de décorations d'anciens combattants marocains posent de nouveau la question sur la situation de misère dans la laquelle vit un bon nombre d'entre eux. A l'oubli et au manque de reconnaissance s'ajoutent des indemnités qui, très souvent, ne dépassent pas les 300 DH tous les six mois. Ils étaient venus en masse, en famille, fiers, brandissant leurs médailles, qu'ils avaient accumulées tout au long des combats auxquels ils avaient participé. Près de 60 ans après, l'Histoire et la France leur rendent, enfin, tout l'honneur qui leur est dû. A la résidence de l'ambassadeur de France au Maroc, située au Souissi, le quartier chic de Rabat, comme dans plusieurs villes du Royaume (Casablanca, Tanger, Fès, Khénifra, Settat, Errachidia, Marrakech et Agadir), le temps était à la mémoire d'une gloire certes passée, mais qui n'en continue pas moins de marquer bien d'esprits. Une gloire retrouvée par quelque 160 vétérans marocains qui avaient participé aux campagnes d'Italie et de France pendant la Seconde guerre mondiale, et dont plusieurs d'entre eux ont également participé à la guerre d'Indochine entre 1947 et 1955, le temps d'une journée. Celle du mardi 23 novembre à l'occasion des différentes cérémonies de remise d'insignes de la légion d'Honneur, en témoignage de la reconnaissance de la France à ces vaillants soldats. Des soldats partis parmi près de 90.000 Marocains qui se sont battus pour la France lors de combats où entre 10.000 et 15.000 d'entre eux ont trouvé la mort. Des soldats marocains, recrutés dans les souks des quatre coins du pays, goumiers ou tirailleurs, et qui ont joué un rôle historique lors de la deuxième Guerre Mondiale, de la fin 1942 jusqu'en 1944 avec la campagne de Tunisie, les débarquements en Sicile et en Corse, et surtout, à partir de novembre 1943, la campagne d'Italie, qui a préparé le débarquement en Provence. A Rabat, où ALM était présent, dix-neuf anciens combattants, âgés de 79 à 91 ans, ont reçu les insignes qui leur ont été remis par l'ambassadeur de France au Maroc. Des décorations décernées le 15 août dernier par le président français, Jacques Chirac, à l'occasion de la commémoration du 60ème anniversaire du débarquement en Provence. Un autre groupe de cent quarante-et-un anciens combattants, choisis parmi les 21.000 toujours en vie, ont été décorés au cours de huit cérémonies différentes organisées à travers le royaume. «Sous l'impulsion de feu SM le Roi Mohammed V, «près de 90.000 Marocains ont combattu aux côtés de leurs camarades français et africains contre l'Allemagne nazie… Ils ont, avec courage, ténacité et abnégation, écrit quelques-unes de nos plus belles pages de l'histoire militaire», a souligné Philippe Faure, ambassadeur de France au Maroc, lors de cette cérémonie, où les décorés n'ont pas caché leur émotion, racontant avec fierté et nostalgie aux différents médias présents à la cérémonie, leurs prouesses et exploits. Comme si le temps s'était arrêté à cette époque, ils n'hésitent pas à relater, jusqu'aux moindres détails, ce qu'ils considèrent comme une épopée. Une épopée que l'on semble cependant avoir oublié, ou du moins mis de côté. Fiers de leurs insignes, contents de l'hommage qui leur a été rendu, ils ne laissent pas moins dégagée une misère que la joie du moment cache mal et que l'âge, la maladie ou l'infirmité accentuent. Il suffit de poser la question sur les rétributions financières, matérielles, qui leur sont accordées pour saisir toute l'étendue d'un véritable drame. « Je ne touche pas plus de 600 Dh par année en récompense de plusieurs années d'engagement. Qu'est-ce que je peux m'offrir avec une telle somme ? Quelle vie est-ce que je peux mener ?», s'interroge Mohamed Lharraq, qui n'a pour soutien moral et financier que sa fille. Quelque 300 DH tous les six est en effet tout ce à quoi un ancien combattant marocain, menu d'une carte qui le qualifie comme tel, a droit. Cela s'appelle « la retraite du combattant». Une indemnité tout simplement insignifiante et que l'on multiplie par dix quant l'ancien combattant en question est français de nationalité. Une somme tout aussi modique. Touma Lahoussine est l'un des rares à avoir trouvé réponse à sa quête. Après 60 ans d'écrits, adressés à qui de droit à Rabat comme en France, il vient de recevoir une réponse favorable à ses multiples demandes. Désormais, il perçoit un salaire mensuel de 4000 DH. Une somme convenable, mais qui est loin d'être une règle, dans la mesure où il faut avoir passé 15 ans est plus de service militaire pour y avoir droit. Autrement, il faut avoir une infirmité et être blessé pour avoir droit à une retraite militaire d'invalidité, dont le montant varie entre 1500 et 3000 DH. Le tout se fait dans le cadre d'une démarche personnelle des concernés, l'organisme chargé de coiffer le dispositif d'indemnisation des anciens combattants n'existant que pour la forme. Une question se pose d'elle-même, l'hommage d'une journée, peut-il rendre justice à des milliers de personnes à qui on a cause du tord, pendant des dizaines d'années ?