Parution du dixième numéro de la revue «Agora». Dédiée à la création poétique, cette revue constitue un espace d'expression unique pour les poètes de langue française. Son ouverture fait côtoyer le meilleur avec le pire. La poésie est peu lue. Peu éditée. Peu diffusée. Très peu vendue. Les spécialistes de l'édition ont coiffé les recueils de poèmes par l'expression « publications confidentielles ». Il faut faire un sort à cette expression. Une publication confidentielle ne veut pas dire que les recueils de poèmes paraissent sous le sceau du secret, ni qu'ils s'adressent à très peu de personnes, mais que le nombre de personnes qui s'y intéressent est extrêmement limitée. Les tirages des recueils de poèmes dépassent rarement le chiffre de 1500 exemplaires. 1500 lecteurs pour un poète ! Quel monde peu poétique ! Lorsqu'une revue, qui plus est éditée au Maroc, se dévoue à la poésie, elle mérite encouragements. La revue en question a pour titre « Agora». Publiée, à l'initiative de l'association des Amitiés poétiques et littéraires du Maroc (APLM), elle est déjà à son dixième numéro. Ce qui constitue en soi un exploit. Quarante-six poètes collaborent au dernier numéro d'«Agora». Des auteurs connus comme Mohamed Loakira, Ahmed Bouanani, Hoceïn Faraj, Driss Bellamine, Jean-Pierre Koffel ou Ali Skalli côtoient des noms peu connus. Ces derniers ne sont pas toujours ceux qui dispensent le moins d'enchantements. Quelques individualités se démarquent dans ce numéro. Le lecteur sera dans ce sens particulièrement attentif aux poèmes de Youssef Ouahboun, Josiane Lahlou, Safia Bouaddi, Karim Boukhari et Ali Khadaoui. Il difficile de trouver un dénominateur commun entre ces poètes, parce qu'il n'existe pas de rigueur dans la ligne éditoriale de la revue. Comme « Agora » se veut surtout un espace ouvert à ceux qui ne trouvent pas où s'exprimer, le meilleur avoisine parfois le pire. Et si des vers charment à la lecture, d'autres assassinent la poésie. Qui résistera à l'envie de se gausser de : «J'ai aperçu dans mon jardin/ Un lapin qui mangeait du pain» ! La générosité qui honore le comité de rédaction ne sert pas toujours la poésie. L'impression laissée par ce vers est toutefois vite lavée par d'autres. La poésie de Mohamed Loakira communique une vigueur tonifiante. Les alexandrins de Koffel véhiculent cet humour noir qui a fait la réputation de ses polars : «C'est pour offrir ; surtout ne gommez pas le prix !». Certains aphorismes d'Ali Skalli sont irrésistibles : «je n'accepterai jamais d'être un bouc émissaire, à moins que ce soit auprès d'une belle chevrette». Et la rigueur formelle de Driss Bellamine, qui écrit des sonnets dans la pure tradition du genre, n'en est pas moins ouverte au lyrisme : «Tes yeux aux rets si noirs ont d'étranges splendeurs». Ne serait-ce que pour le meilleur dans cette publication, «Agora» mérite d'être lue.