Quand Saïd se délectait des moments qu'il passait dans la voiture, il ignorait que la tentation le pousserait jusqu'au crime. Une très mauvaise idée. Abdelkader Serghini est retraité depuis bientôt trois ans. Il a une petite maison à Derb soltan où il vit avec sa femme et leur deux enfants, un garçon de 22 ans du nom de Saïd et une fille de 16 ans qui va au lycée. Saïd a quitté l'école après avoir raté son baccalauréat il y a plus de deux ans. Abdelkader a également deux filles mariées qui vivent en dehors de Casablanca. Le coût de la vie se fait de plus en plus dur et le seul souhait d'Abdelkader est de travailler sur un taxi pour arrondir sa maigre retraite, car il ne reçoit aucune aide extérieure, son fils Saïd étant chômeur. Et son vœu est exaucé quand l'un de ses vieux compagnons de route lui propose de le relayer sur son petit taxi flambant neuf. Les jours passent et Abdelkader est content de son nouveau rythme de vie. Sa journée de travail terminée, il vient garer le taxi près du gardien de nuit ou demande à Saïd de le faire. Ce dernier, qui se plait à rester un peu de temps à écouter la radio dans le taxi, a fini par se faire confectionner un double des clés pour ne plus déranger son père chaque fois qu'il a l'intention de se réfugier dans la voiture pendant quelques moments, parfois avec un ami. Avec le temps, le gardien a pris l'habitude de voir Saïd avec un copain dans la voiture. La tentation fera tourner la tête au jeune homme qui commence à faire des tours au centre-ville, joignant l'utile au risque en transportant des gens bien qu'il n'en ait pas le droit. Pour ce faire, il soudoyait le gardien d'une vingtaine de dirhams à l'occasion pour ne rien dire au père. Sans permis de confiance, la démarche de Saïd est sans aucun doute très risquée. D'autant plus qu'il s'est mis par la suite à boire avant de commencer sa tournée nocturne. Un soir lorsqu'il passait à proximité de l'Avenue 2 mars, il se fait héler par une jeune fille qui monte à ses côtés et lui demande de l'enmener vers la porte où l'attendait sa maîtresse. La bonne descend et la dame tout ornée de bijoux de grande valeur prend place dans le taxi. C'est à ce moment que les idées de Saïd sont brouillées et son esprit commence à voguer vers un objectif qu'il n'a jamais imaginé auparavant. Commettre une agression pure et simple, comptant sur l'atmosphère de crainte perpétrée par la vague de crimes de cet été. Son imagination va plus loin quand il s'est aperçu de la panique visible de sa cliente quand il a lappuyé sur le champignon et s'est dirigé hors d'Aïn Chock. «Vous allez me laisser tous vos bijoux et il ne vous sera rien arrivé, sinon je vous livre en pâture à un groupe de criminels juste au bout de la route !», intime-t-il à la dame. Cette dernière s'exécute sur le champ et ne manifeste aucune résistance, même pas verbalement. «Dieu vous bénisse, ne me faites pas de mal et je ferai tout ce que vous me demandez», répond la femme. Tenant sa parole, il revient vers le centre où il lui demande de descendre sans se retourner. Joli coup pour une première tentative. Même le gardien aura droit à l'heureux bakchich de 50 dirhams. Trois jours plus tard, des éléments de la police judiciaire viennent en compagnie du propriétaire du taxi à la recherche d'Abdelkader. Loin de se douter de quoi que ce soit, ce dernier fut réellement surpri voire irrité par cette irruption pour le moins inattendue, surtout avec la tête que faisait son ami qui laissa la parole aux policiers. «Monsieur Abdelkader, où étiez-vous jeudi soir?» demandent ces derniers. «Chez moi», répond-il. «Et le taxi?» «Chez le gardien». Ce dernier fut vite interpellé pour que la vérité éclate tout de suite. Le gardien se met à table et raconte en détail comment Saïd subtilisait la voiture à son père, croyant que c'était ce dernier qui donnait les clés à son rejeton. Du coup, l'accusé est mis sous les verrous. Le butin est toujours intact quand Saïd reconnaît son crime en pleurant et en regrettant son acte. Trop tard. Mais comment la police est-elle arrivée si vite à démasquer Saïd C'est la petite bonne qui, voyant sa maîtresse rentrer en pleurs criant à la catastrophe à cause du vol dont elle vient de faire l'objet, la rassure en lui disant :«J'ai le numéro du taxi». Le réflexe de la jeune fille a été d'un immense secours à sa maîtresse qui se dirigea tout de suite au commissariat. Lorsque les policiers ont découvert le propriétaire, il leur a immédiatement parlé de son relais, Abdelkader, le seul à part lui qui utilise le taxi. Ecumant de fureur et de honte après que son fils a reconnu son crime, Abdelkader ne fait aucun commentaire. Il ne va même pas au tribunal où Saïd sera condamné à deux ans de prison ferme. Un verdict pas convaincant du côté des victimes de ce genre d'agression, mais peut-être que l'absence d'antécédents a joué en faveur de l'inculpé.