Dans la pratique, cela donne une tête de liste parachutée dans une circonscription où il ne connaît personne qui, se fait seconder par un régional de l'étape qui, lui, connaît tout le monde mais n'a pas la stature national, la notoriété partisane ou la fortune personnelle pour être premier. Dans une course d'athlétisme, nous connaissons tous le rôle du lièvre. Il doit courir devant le champion à un rythme soutenu pour l'aider à améliorer ses performances et peut-être l'aider à battre un record. Quand le lièvre a fini sa mission, exténué ou carbonisé, selon les cas, car il a tout donné, il se retire avant la fin de la course pour permettre au champion de concrétiser sa performance. C'est un job ingrat, mais, en général, il est bien payé. Mais rarement une carrière de lièvre ne donne lieu à une carrière de champion. C'est une spécialité sportive alimentaire qui permet à des quidams par définition inconnus de vivre une vie de sportif de haut niveau au rabais. Nos mœurs électorales, rénovées par le nouveau mode scrutin, ont donné elles aussi naissance à des lièvres politiques. Comme pour l'athlétisme. Sauf que nos lièvres électoraux ne courent pas devant le champion, ils courent derrière. Ils sont souvent numéro deux des listes avec très peu de chances de l'emporter. Mais ils roulent pour la tête de liste pour laquelle ils font les rabatteurs. En général, la tête de liste paye le parti pour être en position éligible, mais le numéro deux, le lièvre, lui se fait payer. C'est un job. Dans la pratique, cela donne une tête de liste parachutée dans une circonscription où il ne connaît personne qui, se fait seconder par un régional de l'étape qui, lui, connaît tout le monde mais n'a pas la stature nationale, la notoriété partisane ou la fortune personnelle pour être premier. Alors, naturellement, il décide contre une rétribution substantielle de rouler pour le parachuté. C'est nouveau, et ça fonctionne. Il n'y a que dans notre cher pays que l'on invente ce type de procédé. Des lièvres à l'envers. Il faut le faire. D'ailleurs, je ne sais pas si vous l'avez constaté ; malgré la notion de liste, les partis politiques ne communiquent que sur les têtes de liste. Les autres co-listiers sont passés à la trappe. Personne n'en parle. Et personne ne les connaît. Pour les plus sincères et les plus réglos d'entre eux, ils ont raison d'être mécontents. Ils ont été gommés d'un seul coup, comme si le scrutin de liste chez nous était devenu par magie un scrutin uninominal avec une grosse circonscription. C'est bizarre. L'esprit même de la liste qui invite à la complémentarité, à la cohérence et à l'homogénéité a été abandonné dans la fièvre électorale. Comme on dit chez nous, la tête de liste est devenue la tête de la boutique, un mélange savant d'épices pour préparer un brouet électoral incertain. Cependant, il est normal de jouer sur la notoriété supposée d'un meneur de liste. Mais dans les circonscriptions où cela est possible comme dans certaines circonscriptions phares de Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès ou Tanger, pourquoi ne pas communiquer sur l'intégralité des personnalités de la liste dans une démarche collective qui restituerait exactement l'esprit de ce nouveau mode de scrutin? C'est dommage. Au lieu de cela, on est tombé dans la dérive stérile du lièvre à l'envers. Et on a surtout mis en avant, bizarrement, une acception qui transforme la notion capitale (sic) de tête de liste en tuteur de la liste, Al Wakil , comme si les autres candidats étaient des incapables majeurs.