L'argent, la force, les cigarettes sont les «devises» qui ont cours dans les prisons pour se procurer ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Témoignage. A la prison «tout est interdit et tout est permis» explique le directeur d'une agence de location de voitures qui a passé quelques mois au complexe pénitencier Oukacha. Et si tout est permis «c'est grâce à l'argent ou aux paquets de cigarettes», précise-t-il hors de lui au point qu'il n'a pas préféré garder l'anonymat. «Personne ne traite humainement un détenu», ajoute-t-il. «Chaque détenu doit verser chaque semaine une somme d'au moins 300 dirhams s'il veut vivre tranquillement, sinon c'est le calvaire, l'enfer…» explique-t-il. Cette «commission» doit être répartie comme suit : «de 50 à 100 dirhams pour le directeur de l'aile, 50 dirhams pour le chef du pavillon et 20 dirhams pour chaque gardien (le surveillant éducateur)…» précise ce quinquagénaire qui a passé 27 ans en Belgique avant de rentrer définitivement au Maroc pour y monter son affaire. Il n'a pas pu croire ce qu'il a vécu et vu de près à l'intérieur de la prison. «C'est inimaginable !…», affirme ce père de quatre enfants, qui ajoute que chaque détenu arrivant le premier jour à la prison doit passer entre 24 et 48 heures à «Bit L'bajda ou(Bit Diafa)». Il s'agit en fait d'une chambre de tri, une grande cellule de 150 m2 qui renferme une centaine de nouveaux détenu avant leur affectation vers les quartiers des prisons… C'est là qu'on étudie les dossiers juridique, médical et personnel (niveau scolaire, situation familiale…) et là qu'on lui apprend le système. Le « caporal», explique-t-il, se charge des nouveaux-venus…Ce «caporal» n'est autre qu'un détenu privilégié pour une raison ou pour une autre, qui se charge de dicter une sorte de «règlements internes» qui répondent à des raisons de sécurité, de résignation, d'autorité avec la prison…Il explique au nouveau détenu qu'il doit verser 3.000 dirhams s'il préfère une cellule confortable… Cette «commission» doit être versée par la famille du détenu en dehors de la prison… Il l'informe également qu'il doit payer 30 dirhams pour avoir chaque matin du pain rond chaud, 30 dirhams pour avoir de l'huile, de 15 à 20DH pour avoir des légumes chaque mardi (le jour de l'arrivage des légumes), 10 dirhams pour du sucre granulé, 15 dirhams pour une couverture, de 70 à 100 dirhams pour un matelas. Il lui en coûtera également 20 dirhams s'il ne veut pas rester enfermé dans la cellule le dimanche, 25 DH pour avoir un morceau de deux à trois grammes de haschisch, 15 dirhams pour un « joint » et 1.400 pour une plaque de 100 grammes de haschisch. Un comprimé psychotrope vaut 10 dirhams l'unité, une bouteille de whisky, 500Dh, une bouteille de gin ou de vodka, 300DH. On peut également se procurer un téléphone portable d'occasion pour une somme variant entre 300 et 500 dirhams…les cartes téléphoniques de 12 unités à 25 DH et de 20 unités à 40 dirhams, le réchaud à 120 dirhams… Les gardiens ne laissent échapper l'opportunité de la journée des visites pour grappiller de 30 à 70Dh. En échange, ils ne fouillent pas minutieusement le panier que portent les familles et qui sera réparti entre le gardien du hall (« Palloir » dans le jargon de la prison, en fait il s'agit du parloir) et le directeur des ailes… Si le détenu est malade, il doit verser 50 dirhams à l'infirmier afin qu'il soit conduit chez le médecin…Et pour être hospitalisé hors du pénitencier, il doit verser 3.000DH… Le détenu doit aussi répondre aux besoins du « chef de chambre » qui est lui aussi un détenu, mais qui jouit d'avantages particuliers. Il est l'indic de l'administration et son interlocuteur avec les détenus… ». Le détenu doit avoir l'une des trois choses pour vivre en paix à la prison, tranche ce quinquagénaire, soit la force, soit l'argent soit son corps….Sinon il vivra le calvaire et l'enfer. Notre interlocuteur paraît-il avoir de l'argent. «…Je n'avais pas de problème puisque je payais tout » affirme-t-il. C'est une réalité qui a été remarquée aussi par les membres de l'Observatoire Marocain des Prisons qui lutte contre toutes ces pratiques.