Des poètes espagnols et marocains se sont rencontrés dimanche soir dans un parc public à Rabat. Ils ont choisi de rire de la situation actuelle. Récit d'une kounboula qui a failli prendre la place d'une koubla. La rencontre a été décidée bien avant l'affaire du rocher Leïla. Elle est à l'initiative de l'Union des Ecrivains du Maroc (UEM) et de l'Institut Cervantès. C'est une première : des poètes espagnols issus de plusieurs régions autonomes rencontrent des poètes marocains. Il y avait Jaime Alejandre, Daniel Castillo, José Ramon Trujillo et Louis Tosar. Côté marocain, les poétesses Wafae Amrani et Aïcha Basri de même que les poètes Driss Méliani et Aziz Azray ont répondu présents au rendez-vous. On appréhendait de l'électricité dans l'air. La rencontre avait lieu dans un parc public – très fréquenté vers 18 h 30. Pourtant, on n'a vu ni policiers, ni dispositif particulier pour contenir d'éventuels débordements. Il faisait beau dimanche soir à Rabat, et les gens sont venus nombreux pour écouter de la poésie. Le poète Hassan Nejmi a bien exprimé l'étrangeté de la situation. Il a choisi de ne pas occulter le problème dans son allocution, mais il l'a abordé avec beaucoup d'humour. Estimant que «les poètes sont les seuls dignes d'occuper l'îlot Leïla. Ils sauront quoi en faire». On peut imaginer quelques poètes isolés dans cet îlot. Mais leur isolement n'en sera pas vraiment un. Leïla n'est pas seulement à vue d'œil des côtes marocaines : on peut l'atteindre par un simple jet de pierre. Enfin, il faut être un poète pour atteindre par un projectile, lancé par la main, une cible se situant à une distance de près de 150 mètres. Les poètes se connaissent en matière d'hyperboles. Même si cette petite distance est très peu faite pour exciter leur verve. Elle est trop petite, trop réaliste, pour convenir à l'étendue de leur imagination. Hassan Nejmi a également loué les vertus de la poésie, la seule capable, selon lui, de rapprocher les deux peuples. Il a même dénigré les décisions impulsées par des calculs politiciens. Un ange nommé Aznar est passé. Son air embarrassé a fait sourire tout le monde. Le poète et éditeur Basilio Rodriguez Canada est plus pragmatique dans son évaluation de la situation. Il nous a affirmé que «cette rencontre est nécessaire. Elle est rendue indispensable par les événements. Nos deux cultures sont obligées de se rencontrer. Elles y sont presque condamnées. Nous avons fait un si long chemin ensemble qu'il n'est pas possible à un conflit ponctuel de l'effacer.» Mais l'inquiétude était là. «Nous appréhendons tous les suites de cette affaire. La fracture entre nos deux peuples est ce qu'il fait le plus éviter». La crainte est donc tout de même là. Mais le rire et l'humour sont les meilleures armes pour venir à bout des angoisses. Il faut reconnaître que le ridicule de l'intervention surdimensionnée de l'Espagne s'y prête. Le hasard a voulu aussi que l'angoisse du moment transparaisse dans une coquille. Les poètes espagnols étaient là pour présenter «La poésie espagnole contemporaine», une petite anthologie traduite par Larbi El Harti. Le poète Jaime Alejandre a tenu à préciser qu'une faute s'est glissée dans la traduction de ses poésies en arabe. Au lieu du mot «koubla» (baiser), on lit «kounboula» (bombe).Le poète dit préférer infiniment plus la koubla à la kounboula. Si l'histoire de ce conflit se transforme de bombe en baiser, tout le monde s'en félicite. Pourvu que ce baiser ne trouve ni les joues creuses du sieur Aznar, ni sa moustache hirsute et avare.