Un avis d'expulsion a été exécuté le 16 août à Marrakech contre Elisabeth Albérola, septuagénaire, qui occupait, dans la zone de Targa, une belle propriété de 5 hectares depuis plusieurs décennies. La dame, affolée, frappe à toutes les portes pour récupérer son bien. Désemparée, la victime lance un cri de cœur dans l'espoir d'être rétablie dans ses droits. Elle explique les dessous d'un procès qu'elle a perdu en première instance et en appel. Le nouveau propriétaire est un promoteur immobilier de Casablanca du nom de Benrami. Elle a tout perdu. Son terrain, ses trois maisons et surtout son jardin. «Mes arbres, mes pauvres arbres, tous déracinés !» La phrase revient lancinante dans le flot de mots décousus d'une Française âgée de 70 ans, expulsé du terrain qu'elle occupait à Marrakech. Les pelleteuses ont démoli soixante palmiers, rasé trois maisons, au lendemain de l'avis d'expulsion, exécuté le 16 août. Les cinq hectares de la propriété Myriam déblayés, en un jour. Les meubles mis sous séquestre. Cette fois-ci, Elisabeth Albérola ne coulera pas des jours tranquilles en prenant son apéro dans son vaste jardin à Marrakech. Désormais, il appartient légalement à un autre. La justice s'est prononcée et a donné raison à M. Ben Rami, l'heureux propriétaire du terrain, situé à Targa. Mme Albérola a longtemps cru que les circuits de la Justice marocaine étaient trop lents, trop labyrinthiques pour la déposséder de la propriété qu'elle partage avec son mari Marcel Albérola. Il faut reconnaître que le temps lui a laissé beaucoup de répit. Son litige a commencé en 1985, date de l'appropriation des cinq hectares par une personnalité politique. Elle les a obtenus grâce au morcellement d'un vaste terrain récupéré par l'Etat en 1973 dans le cadre de la marocanisation des lots qui appartenaient aux colons. La personnalité politique en question avait le titre foncier de la propriété Myriam, Mme Albérola l'occupait. L'un est propriétaire sur papier, l'autre occupe les lieux. En fait, le document de la nouvelle acquisition ne mentionnait pas que la propriété était occupée et que trois maisons y étaient bâties. Pourquoi les experts n'ont pas fait ce travail? Toujours est-il que Mme Albérola engagera plusieurs procès contre le détenteur légal du terrain. Elle les a perdus à chaque fois : la propriété Myriam n'a jamais été enregistrée en son nom ou celui de son mari. Elisabeth Albérola n'a pas de titre foncier à présenter. Elle dit que ce terrain a été acheté par son beau-père en 1953 et qu'il y avait construit une société de cordage : Sicoma. C'est au nom de cette société qu'elle s'est battue pour ne pas être délogée. Elle a réussi à obtenir des pré-notations, empêchant le propriétaire sur papier de procéder à un acte de vente. Mais cet expédient n'a pas résisté à l'hypothèque. 2003, le tournant. La personnalité politique, qui avait hypothéqué sa propriété auprès de la BMAO, ne rembourse pas un prêt contracté auprès de cette banque. Celle-ci se résout à exercer son droit sur le bien hypothéqué et vend la propriété à une tierce personne : M. Ben Rami, un promoteur immobilier qui connaît bien son sujet. En une année, il gagne son procès contre Sicoma et obtient un avis d'expulsion. A partir de juillet 2004, les choses vont s'accélérer très vite. L'avocat de Mme Albérola, Amine Al Kotaïchi, obtient le 28 juillet à la Cour d'appel de Marrakech l'annulation du jugement visant à expulser sa cliente au motif que la société Sicoma n'existe pas et qu'il fallait engager un procès contre une personne physique, en l'occurrence Mme Albérola, et non pas une société dissoute. Cet arrêt de jugement, prononcé après qu'un huissier de la Justice s'est rendu sur le terrain et constaté qu'il y a seulement trois maisons et non pas une usine, allait modifier le cours cauchemardesque que prenaient les choses pour Mme Albérola. C'était compter sans le gardien des lieux, un dénommé Hassan Lahdili. Le 16 août, celui qui gardait la propriété Myriam se présente aux forces de l'ordre, venues appliquer l'avis d'expulsion, comme un représentant de la société Sicoma et explique qu'il ne voyait aucun inconvénient à quitter les lieux. L'annulation du jugement s'en trouvait caduque, du moment qu'un représentant de Sicoma a miraculeusement réapparu. Après cette résurrection d'une société morte depuis longtemps, Hassan le gardien s'est évaporé dans la nature : il est injoignable. M. Ben Rami, le promoteur immobilier qui a réussi à déloger l'opiniâtre septuagénaire, signe à deux mains l'inexistence de Sicoma. Il explique que la défense de Mme Albérola, c'est «du creux à 1000%». Sa plaidoirie est «basée sur une société qui n'existe pas», affirme-t-il. «Où est cette société ? Où se trouve-t-elle ? Qu'on me la montre !», s'écrie le promoteur. Quand on lui dit que l'exécution de l'avis d'expulsion, datant du 16 août, se fonde sur la présence d'un représentant de Sicoma, M. Ben Rami se rétracte et se réfugie derrière la légalité du procès. Il n'a jamais entendu parler du gardien Hassan. Et pendant ce temps-là, Mme Albérola court après Hassan à qui elle a rapporté des cadeaux… Il en a probablement reçu d'autres.