S'exprimant sur la Loi de Finances 2004, Driss Benali, président de l'association Alternatives et professeur universitaire, relève le manque d'imagination qui caractérise ce projet. Si les objectifs escomptés ne sont pas atteints, le pays risque de nouveau de subir une politique d'ajustement structurel dont il a le moins besoin. ALM : Quelle est votre appréciation du projet de Loi de Finances 2004, qui vient d'être approuvé par le Conseil de gouvernement ? Et quelles sont les nouveautés qu'il a apportées ? Driss Benali : La remarque qui s'impose d'elle-même est que, telle que présentée, cette loi de Finance n'a pas réussi à sortir l'économie marocaine des limites tracées par les organismes financiers internationaux tels que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. L'objectif reste le même, à savoir maintenir les grands équilibres macro-économiques. Prenant en considération le taux de croissance on ne peut plus faible de l'économie marocaine d'une part, et la nécessité, l'urgence d'une relance économique, on serait forcé de se poser la question si cette approche est la plus adéquate ? Sans tomber dans un keynésianisme classique, tel que adopté par les pays développés qui ont recours au déficit budgétaire pour donner un nouvel élan à leur économie, la politique budgétaire marocaine se doit d'être plus imaginative. Mais les choses étant ce qu'elles sont, il est évident que le souci majeur reste celui de ne pas dépasser un déficit de 3%. Néanmoins, la loi de Finance 2004 est marquée par un début de quelques retouches de type fiscal. Justement, ce projet de loi de Finances stipule une baisse de l'IGR de 44 à 41,5 % et une hausse de la TVA sur l'électricité. Sachant par ailleurs que la tendance est baissière en matière de droits de douane, vu les engagements du Maroc, quel jugement portez-vous sur ces choix ? Les objectifs de telles baisses sont clairs. Il s'agit pour l'Etat d'élargir son assiette fiscale en appelant à faire des déclarations fiscales et en absorbant une partie de l'informel, qui représente 25 à 40 % de l'économie marocaine. C'est aussi une façon de relancer la demande interne, des plus dépressive, dans une conjoncture internationale marquée par une récession économique des plus dures aux USA, mais aussi en Europe, continent où 60 % des exportations marocaines sont destinées. Face à la faiblesse actuelle de l'assiette fiscale, ces mesures font office de facteurs stimulant. D'autant plus que tout le monde est traqué par la déclaration fiscale. La refonte du code d'enregistrement, mais aussi la privatisation de la Régie des Tabacs peuvent à cet égard compenser ces baisses. Mais si ce scénario n'aboutit pas, on risque de tomber dans des dérapages financiers encore plus forts. À cela, il faut ajouter les inquiétudes de la Banque Mondiale et du FMI, qui qualifient les équilibres macro-économiques d'artificiels dans la mesure où le déficit de 3 % est à mettre à l'actif des opérations de privatisation. Le déficit réel est de 5 %. On risque donc que ce « dérapage » ne soit encore plus grave, ce qui se traduirait par un autre recours à l'ajustement structurel économique, qui serait plus dur à supporter par l'économie marocaine. L'Etat aurait donc pris un risque dont l'issue est incertaine ? En réduisant le taux de l'IGR et de la TVA, l'Etat a certainement pris des risques. D'autant qu'il intervient à un moment où le taux de croissance ne dépasse pas 3,2 à 3,5 %, ce qui reste faible. Cela, alors qu'il faut un taux de 6 % pour stabiliser le chômage. Le boom démographique généré dans les années 1960 et 1970 nous a procuré une jeunesse, qui maintenant est en mal d'emplois. Une jeunesse qui reste en grande partie peu qualifiée, étant donné que le système d'enseignement n'a pas accompagné ni cette évolution démographique, ni celle du marché de l'emploi. Le budget d'investissement prévu dans cette loi de Finance stagne toujours à 19 milliards DH. Qu'est- ce qui explique ce choix ? Et est-il opportun ? L'Etat a toujours les yeux rivés sur les équilibres macro-économiques. C'est ce qui explique ce choix. On cherche à réduire la dette extérieure par tous les moyens. Une démarche fondée sur l'accessibilité du Maroc aux marchés financiers internationaux et qui obéit à une double-contrainte. D'une part, nous avons un budget de fonctionnement de l'Administration qui s'accapare 12 % du PIB et 40 % du budget général, ce qui laisse une faible marge à l'investissement. D'autre part, la volonté de maîtrise de la dette extérieure se répercute sur la dette interne, de plus en plus lourde. Résultat : la plus grande partie des liquidités bancaires vont à l'Etat. Et c'est ce qui justifie le comportement des banques, dont le fonctionnement est marqué par une prudence certaine, voire une certaine logique de rente.