Miné par le clanisme et le clientélisme, l'athlétisme national vit un malaise certain. Les sacres et records mondiaux ne sont plus au rendez-vous et la relève est loin d'être assurée. Pour échapper à cette crise, nombreux sont les athlètes qui n'hésitent pas à opter pour une autre nationalité. Et réussissent à briller sous d'autres cieux. Hicham El Guerrouj 8ème sur le 1500m ! C'est ce qui s'est passé vendredi dernier au meeting de Rome, comptant pour le Grand Prix de l'IAAF. Cette même piste qui a connu la pulvérisation de deux records mondiaux par le Marocain (1500 m et mile), ne lui a vraisemblablement pas porté chance ce soir-là. Pour rappel, cette domination d'El Guerrouj avait commencé en Italie (Grand Prix de Turin en 1996 durant lequel il avait détrôné un autre roi, l'Algérien Noureddine Morcelli), s'est terminé en Italie également. C'est que le quadruple champion du monde du 1500 m est resté invaincu en Grand Prix de l'IAAF depuis août 1996. Mais le fait marquant de ce Grand Prix romain est l'émergence d'un champion, marocain naturalisé bahreïni : Rachid Ramzi. Celui-ci a non seulement mis fin à la domination de Hicham El Guerrouj sur le demi-fond mondial, mais il a également réussi à battre les deux autres meilleurs athlètes de la discipline, le Kenyan Bernard Lagat et le Français Mehdi Baala, réalisant par la même la meilleure performance mondiale de l'année (3 min 30 sec 25/100). Rachid Ramzi n'est pas un inconnu de la scène athlétique nationale. Si, en 2002, sa naturalisation est passée pratiquement sous silence, son premier titre sous les couleurs bahreïnies a fait couler beaucoup d'encre. En effet, le jeune Ramzi, âgé alors de 22 ans, s'est vu consacré champion d'Asie en Corée du Sud. Presse et opinion publique se sont alors insurgées contre l'instance fédérale qui a laissé filer un champion en herbe, dénonçant au passage le manque de patriotisme du jeune Ramzi. Ce dernier s'est défendu en évoquant «l'insouciance et du je-m'en-foutisme de la fédération» non seulement à son égard, mais également vis-à-vis de nombreux autres jeunes athlètes, qui ont, comme lui, choisi de courir pour d'autres pays. Ayant brillé à différentes compétitions pour cadets et juniors, Rachid Ramzi a vite attiré l'attention des responsables de la FRMA qui l'ont intégré à l'équipe nationale. Quelque temps après, il a réussi une deuxième place sur le 1500 m lors des championnats d'Afrique qui ont eu lieu en Tunisie. La carrière de ce jeune athlète était alors tracée. Mais une blessure au ligament du genou gauche va y mettre fin. Durant plus de deux années, il n'a reçu aucun soutien de la part de la FRMA. «Je percevais un salaire de 500 DH tant que je m'entraînait avec la sélection. Ce salaire était auparavant de 300 DH. En cas de blessure, ce salaire cessait d'exister. La première des choses que les Bahreïnis nous ont donnée est un emploi au ministère de la Défense», a expliqué Rachid Ramzi qui a également bénéficié d'une prise en charge médicale totale qui lui a permis de revenir au top niveau. Actuellement, il perçoit mensuellement 20.000 DHS, en rémunération de ses stages d'entraînement qu'il effectue à Ifrane, ainsi que 6000 DHS supplémentaires, son salaire du ministère de la Défense bahreïni, et ce sans compter de nombreuses primes. Le cas Ramzi est symptomatique de l'état de l'athlétisme national de plus en plus fui par les espoirs nationaux. Si Abdellah Bahhar (5000 m et 10000 m) a été le premier athlète marocain à changer de nationalité, ayant choisi de courir pour la France dans les années 80, la naturalisation dans le domaine sportif est devenue monnaie courante. Les exemples les plus évidents sont Mohamed Moughit, naturalisé belge ainsi que Khalid Khannouchi, devenu américain et qui a réussi la meilleure performance mondiale de tous les temps sur le marathon (record du monde). Tous deux n'ont pas hésité, lors de nombreuses déclarations à la presse, d'évoquer la responsabilité du DTN Aziz Daouda dans leur départ. Actuellement, la sélection nationale bahreïnie compte quatre Marocains (Rachid Ramzi, Mustapha Ryad, Nadia Jabni et Rachid Khouya). Et un petit tour sur les sites des fédérations française, belge ou espagnole d'athlétisme révèle également un nombre croissant d'athlètes d'origine marocaine qui figurent sur les listes de ces instances. L'athlétisme national se trouve donc en très mauvaise passe. Plusieurs athlètes ont crié haut et fort ce que d'autres pensent tout bas. L'ancienne gloire du demi-fond mondial, premier homme à descendre sous la barre des 13 minutes sur le 5000 m, Saïd Aouita en l'occurrence, qui avait critiqué la gestion de Aziz Daouda. Pressenti lui-même pour le poste de DTN, Saïd Aouita a vite fait de quitter le Maroc pour l'Australie où il a été entraîneur de la sélection du demi-fond pendant près de trois années. L'ancienne championne olympique du 400m haies, Nawal El Moutawakel avait dénoncé le clanisme qui mine la fédération d'athlétisme. «Les relations entre dirigeants, cadres techniques, athlètes se sont tellement détériorées que ce sport vit une anarchie totale. Il est rongé par un manque de visibilité, une gestion défaillante en plus de ce provisoire qui dure. Une situation qui pousse les athlètes à fuir leur pays», a-t-elle estimé. Et d'ajouter: «Les moyens mis actuellement à la disposition de la fédération sont considérables. Le Maroc regorge de potentialités qui ne sont malheureusement pas bien exploitées». Et c'est justement ce problème de relève qui revient en force avec la défaite d'El Guerrouj. La direction technique, qui ne cesse de jouer la carte des jeunes, s'est vue déboutée à plusieurs reprises. Les dernières participations des Marocains dans les compétitions internationales ont été décevantes. A Budapest, lors des derniers Mondiaux in-door, le Maroc n'a pu glaner aucune médaille, le meilleur résultat des athlètes nationaux n'ayant été qu'une 4ème place d'Amine Laalou sur le 800 m. Quelques mois plus tôt, les Marocains n'ont réussi que trois médailles, dont deux en or (Jaouad Gharib sur le marathon et Hicham El Guerrouj sur le 1500 m) et une autre en argent (El Guerrouj sur 5000 m). Rare participation réussie, celle des sélections nationales aux Mondiaux de cross-country durant lesquelles les Marocains ont raflé 20 des 36 médailles en jeu. A moins de quarante jours des J-O d'Athènes, la direction technique nationale affiche fièrement le nombre de 42 athlètes ayant réussi le minima olympique parmi lesquels une trentaine uniquement fera le déplacement en Grèce. Le choix sera-t-il le bon cette fois-ci?