À la veille d'importantes échéances électorales les syndicats et diverses corporations tentent d'arracher le maximum d'engagements à l'actuel gouvernement. Le déficit social est devenu plus visible, mais les cadeaux ont un prix. Qui va payer ? Le gouvernement est dans tous ses états. À l'approche des élections de septembre 2002, les corporatismes se réveillent, et ce qui obligent l'exécutif à mettre la main à la poche contre la volonté de Fathallah Oualalou. L'œil constamment rivé sur les grands équilibres macro-économiques, l'argentier du Royaume a-t-il cédé malgré lui à une dérive électoraliste ? Exemple significatif de cette poussée revendicative, l'augmentation finalement consentie sous la pression des syndicats aux enseignants du primaire et du secondaire. La bagatelle de 4 milliards de Dhs répartie sur 4 ans. Dans un pays dont le budget est déjà mis à rude épreuve, la question se pose d'emblée : d'où viendra l'argent? Qui financera cette promotion sectorielle ? En fait, le gouvernement a dit oui sans savoir avec exactitude comment il va répondre financièrement à ses engagements. Il faut dire qu'il a le temps, puisque les acquis arrachés par le personnel de l'éducation nationale n'entreront en vigueur qu'à partir de janvier 2002, soit après les élections. À moins d'une rentrée exceptionnelle comme celle de Vivendi, certains avancent que la manne proviendra certainement des grignotages qui seront fatalement opérés sur le prochain budget de certains ministères (0,5% par-ci, 1% par là…) ou de l'excédent dégagé par certaines taxes comme la TVA. Le futur gouvernement n'aura pas les coudées franches, austérité oblige. Les partis de l'opposition pensent que Abderrahmane Youssoufi a cédé face à l'armée des enseignants pour des considérations électoralistes, celle-ci étant réputée représenter le gros de la base électorale de l'USFP. Une base qu'il ne faut pas donc mécontenter sous peine d'un vote-sanction en 2002. Une chose est sûre : l'affaire des enseignants risque de ne pas rester un cas isolé. Elle risque de susciter dans les semaines à venir des revendications de même type dans d'autres corporations de la fonction publique. Une fonction où les statuts, inégalitaires à tout point de vue, ont besoin d'une refonte en profondeur. Un exemple parmi tant d'autres : les salaires des agents sont différents d'un office à un autre. Certains sont mieux payés que d'autres. Un directeur d'un établissement public avec ses proches collaborateurs absorbent à eux seuls une part importante de la masse salariale. Sans oublier les directeurs du ministère des finances qui arrivent, primes compris, jusqu'à 100.000 Dhs par mois. C'est cette injustice dans la répartition des revenus qui alimente l'exaspération de larges pans du fonctionnariat au Maroc… Déjà, les médecins des CHU, en grève depuis le 24 avril dernier, réclament une revalorisation de leur salaire et une amélioration de leurs conditions de travail. Un conflit qui n'en finit pas de durer, aux conséquences fâcheuses sur les malades et les étudiants. C'est le Premier ministre qui a hérité de ce dossier chaud, les représentants des grévistes refusant de continuer la négociation avec le ministre de la Santé Thami Khiyari dont ils demandent même le départ. “Certains ministres politiques ne s'en remettent au chef du gouvernement que lorsqu'ils sont coincés“, explique-t-on sur un ton d'exaspération dans l'entourage de la primature. On ajoute : “ quand ils prennent des décisions c'est souvent sans concertation avec M. Youssoufi. Chacun joue sa propre partition. Si ça marche, ils s'enorgueillissent individuellement. En cas d'écehc, ils appellent M. Youssoufi à la rescousse et lui refilent la patate chaude“. Ces confidences renseignent sur l'ambiance au sein du gouvernement L'esprit de cohésion mis sans cesse en avant n'est en fait que de façade. M. Youssoufi prenant tout sur lui pour que sa coalition disparate ne vole pas en éclats, conscient qu'il est personnellement comptable de tout ratage à ce niveau-là. À quelques mois de la fin du mandat gouvernemental, tout indique que Abderrahmane Youssoufi doit encore puiser sur son crédit personnel pour faire face à la grogne sociale qui va crescendo. En plus du conflit des CHU, le chef de l'exécutif s'est vu solliciter son arbitrage dans le dossier de la grève des marins de la pêche hauturière. Une affaire autrement plus complexe : le ministre de tutelle, Saïd Chbaâtou du MNP, s'est attiré les foudres des armateurs en raison de sa politique des quotas instaurée récemment pour les différentes prises. Ce système a pénalisé les marins pêcheurs qui ne travaillent désormais que 7 mois sur l'année. En guise de compensation, M. Chbaâtou a demandé aux armateurs de distribuer à leur personnel 1% du chiffre d'affaires. Jugeant cette mesure irréalisable, voire chimérique, les opérateurs du secteur ont crié au scandale et se sont orientés vers le Premier ministre pour dénouer la crise dont ils font assumer la responsabilité au ministre. Abderrahmane youssoufi en est là, aujourd'hui. Écartelé entre la montée des corporatismes et les exigences du réalisme budgétaire. La pente est glissante…