Le parti de l'Istiqlal est désormais animé d'un réel esprit va-t-en-guerre contre le PJD et ses nouveaux alliés de la majorité. Après l'artillerie lourde de Hamid Chabat, c'est au tour Adil Douiri, chef de file de l'Alliance des économistes istiqlaliens (AEI) de sortir son bistouri pour disséquer le projet de loi de Finances (PLF) 2014. Jeudi à Casablanca, lors d'une conférence de presse consacrée aux résultats d'une analyse du PLF par l'AEI, l'ancien ministre du tourisme (2002-2007) et président du holding Mutandis s'est évertué à démontrer les «7 erreurs» d'un projet qui, selon lui, est «vide et incompatible avec la conjoncture économique actuelle». Douiri n'hésite pas non plus à désigner le PLF 2014 de projet «sans vision, sans souffle et sans ambition». Pourquoi alors ces qualificatifs peu flatteurs pour les concepteurs du PLF ? Pour Douiri, la réponse est simple: «Le gouvernement en est à sa troisième loi de Finances et, encore une fois, celle-ci traduit une incompréhension totale de la nécessité de corriger la stratégie macro-économique… Ce faible niveau de compétence gouvernementale en matière de stratégie économique et de pilotage au quotidien est devenu clair et apparent pour tous les observateurs». A ce niveau, le discours politique l'emporte, même en filigrane, sur l'analyse économique, sachant que les ministres istiqlaliens n'ont aucunement participé à l'actuel projet de loi de Finances. Le montage du projet a été, en effet, réalisé entre les mois d'août et de septembre derniers, une période durant laquelle les Istiqlaliens avaient déjà tourné le dos à la majorité du gouvernement Benkirane. Selon Adil Douiri, également membre du conseil national du Parti de l'Istiqlal, la mouture du PLF 2014 est truffée «d'hypothèses irréalistes». S'agissant par exemple du taux de croissance, le gouvernement avance un 4,2% alors que le HCP et la Banque mondiale tablent respectivement sur des taux de 2,5 et 3%. Les économistes istiqlaliens, eux, préconisent plutôt un 2,8%, basé sur une année agricole moyenne en 2014 et une légère accélération du PIB non agricole, grâce à la sortie de récession des pays européens. Autre exemple, le déficit budgétaire. Si le gouvernement table sur un niveau de 4,9%, l'AEI anticipe un déficit de 6,3% du PIB en 2014. Cette estimation des Istiqlaliens est basée sur deux éléments : une croissance de recettes moins optimiste que ce qui est annoncé par le PLF et un manque de 9 milliards de dirhams aux chiffres avancés pour la Caisse de compensation, «sauf nouvelles hausses à la consommation», comme le précise Douiri. Pour voir le bout du tunnel, le gouvernement devrait, selon l'AEI, abandonner la politique des emprunts en devises qui lui permet actuellement de stabiliser le recul rapide des réserves de change. «C'est un remède dangereux qui ne peut être que temporaire et qui ne résout pas le problème… Sur le long terme, le Maroc se verra obligé de dévaluer fortement la valeur du dirham. Et à ce moment, la dette extérieure sera un réel fardeau pour l'économie du pays», argumente Adil Douiri. Seconde solution, sur un ton moins catastrophique cette fois-ci, le gouvernement devrait revenir aux grands projets exportateurs que le Maroc a lancés depuis une décennie presque, mais qui ont fini par s'enliser au cours de leur mise en œuvre. Pour les économistes istiqlaliens, le parachèvement de ces projets voudrait que l'équipe Benkirane mette la main à la poche. «Nous préconisons depuis deux ans que l'Etat déplace 3% de son effort d'investissement annuel, soit quelque 3 milliards de dirhams par an vers le renforcement du capital des projets exportateurs en cours de réalisation (Plan offshoring, Plan Azur, construction d'une deuxième usine automobile majeure,… (ndlr)», explique Douiri. Et sur ce point précisément, tous les signes disent que le gouvernement n'est pas près de faire des largesses. Le budget des investissements publics, augmenté de 21 milliards de dirhams en 2012, a été par deux fois réduit en 2013 avec un impact réel sur l'activité des entreprises. Et le scénario devrait se répéter avec les 186,64 milliards DH du PLF 2014, alors que le taux d'exécution des investissements publics par l'administration et les établissements publics n'arrive toujours pas à remonter la pente.