La caméra effectue un zapping circulaire, puis s'attarde ensuite sur l'hôte de marque. Au terme du prêche, l'imam ne tarit pas d'éloges envers le Souverain. Nous sommes à la grande mosquée de Bamako. Une prière du vendredi qui rappelle celle, jour pour jour, où Mohammed VI accomplissait la prière du vendredi à la Grande mosquée de Dakar, en 2006. Dans son prêche, l'imam a mis en exergue les efforts du Roi du Maroc qui «n'a cessé de prendre les pas de ses aïeuls Rois et Sultans qui ont toujours marqué leur entière attention et vis-à-vis de ces contrées africaines. Veillant à y répandre le message de l'Islam et enraciner ses nobles valeurs». C'est que le Mali revient de loin. La diplomatie s'attaque à la fois à l'urgence mais elle s'oblige aussi à se projeter dans le futur. C'est mutatis mutandis ce qu'est en train de faire le Souverain.
Impératif citoyen
Pour parer au plus urgent, le chef d'Etat a promis aux Maliens de les aider à combattre le sous-développement, à faire reculer la misère. Un impératif humanitaire, moral qui ne date pas d'hier. Sauf qu'aujourd'hui, le pays, terrassé par la guerre, a besoin de tout. Ce n'est pas pour rien que les FAR ont précédé la visite royale pour ériger un véritable hôpital de campagne doté de tous les services médicaux dignes d'un CHU. Quant au long terme, les orientations choisies par le Royaume visent à asseoir la stabilité du Mali et surtout couper la route aux djihadistes qui, il y a tout juste une année de cela, risquaient de transformer le Mali en un sanctuaire terroriste. La stabilisation, la reconstruction, le processus politique de réconciliation et le développement du Mali représentent ainsi un enjeu stratégique de première importance pour le Royaume. La perspective d'un Afghanistan au sud du Sahara n'a rien de réjouissant pour les pays d'Afrique du nord comme elle inquiète à juste titre l'Europe si proche. D'où les opérations déclenchées, il y a si peu, pour déloger les djihadistes.
Des plans déjoués
La rage de voir le Maroc reprendre pied dans cette zone de turbulences explique d'ailleurs la virulence de la réaction des terroristes d'Aqmi qui n'ont pas hésité à mettre en ligne une vidéo qui appelle à la violence contre le Royaume et ses institutions. Et ce à la veille du déplacement royal au Mali. Pourquoi tant de haine ? Pour ceux qui ne le savent pas, il faut rappeler que le rôle du Royaume dans la bérézina infligée aux groupes terroristes du Sahel a été déterminant. Pas seulement parce que le Maroc a ouvert son ciel aux Mirages français qui déferlaient sur le nord du Mali mais surtout grâce aux renseignements précieux que les Marocains ont fournis sur les mouvements des armes et des hommes venant de Libye qui arrivaient en nombre au Mali rejoints par des mercenaires recrutés par un nombre incalculable d'officines qui s'activent dans la région. Un soutien sans lequel les forces françaises n'auraient pas réussi à enrayer l'implantation des djihadistes dans le nord du Mali ni leur expansion dans toute la région. La débandade de l'armée régulière dans le nord du Mali en 2012, puis le recul des forces indépendantistes touarègues du MNLA au printemps de la même année, avaient fait de la région un lieu de regroupement des filiales d'Aqmi. Sans oublier qu'à l'époque, toute la région bruissait de rumeurs et de théories du complot qui se nourrissaient des remous politiques dans le Maghreb. Le petit clin d'œil fait d'ailleurs à François Hollande, dans l'allocution royale, «pour l'appui franc et déterminant apporté par la France et pour le dynamisme et le courage de sa diplomatie, au service de la paix et de la stabilité du Mali», en dit long sur la complicité qui lie les deux pays quant à la gestion de ce dossier épineux. Il ne faut pas se tromper : cette guerre n'a rien à voir avec les croisades à l'américaine sur l'Irak. Fait inédit, c'est une guerre sans merci entre l'Islam soufi et le djihad, cette métastase du wahhabisme, lui-même cancer de l'Islam. Ces fous d'Allah, avatars de l'islam politique, ont montré que leur pire ennemi n'était pas l'Occident mais le soufisme. D'où le vandalisme qui a frappé essentiellement le nord du Mali avec une prédilection pour Tombouctou – la cité sainte aux 300.000 manuscrits de l'antique civilisation négro-musulmane – où les mausolées ont été mitraillés au mortier et où les ouvrages millénaires ont été brûlés dans un immense autodafé qui en dit long sur les véritables motivations des salafistes. Récuser la politique du pire Ce n'est pas seulement le Maghreb laïc et l'Afrique tolérante qui sont dans le collimateur de cette armée d'intégristes mais c'est tout un modèle de société qui est en jeu. Car le soufisme, qui est en fait le socle du mode de vie qui a prévalu jusqu'à présent dans cet empire qui s'étendait de Fès à Tombouctou, est aux antipodes des valeurs de l'islamisme radical. Dans tout le Sahel, l'intégrisme des pétrodollars soutenus par des escouades de prêcheurs et d'activistes a mis en danger la sérénité de l'islam africain dans lequel se reconnaissent le Sénégal, la Mauritanie, le Niger, et le Mali dont la grande majorité des croyants fait allégeance d'une manière ou d'une autre à un grand maître de la mystique musulmane marocain, à commencer par Sidi Ahmed Tijani, pour ne citer que celui-là. «La tradition et la pratique de l'Islam au Maroc et au Mali se nourrissent des mêmes préceptes du «juste milieu». Elles se réclament des mêmes valeurs de tolérance et d'ouverture à l'autre, et demeurent le fondement du tissu spirituel continu qui a lié nos deux pays», explique le Souverain dans son discours. Joignant le geste à la parole, le Roi s'est félicité de la signature d'un accord portant sur la formation, au Maroc, de 500 imams maliens, sur plusieurs années. Les observateurs auront d'ailleurs noté que de tout l'Exécutif marocain, seul le ministre des habous a fait le déplacement à Bamako. Maintenant que la première bataille contre le terrorisme a été gagnée, il va falloir aussi gagner la paix. C'est le sens profond du périple royal dans ce berceau de l'islam noir qu'est le Mali et son soutien sans faille au nouveau président. En clair, on est en train d'assister à une redistribution en profondeur des rôles diplomatiques entre les deux puissances de l'Afrique du Nord, le Maroc et l'Algérie. Avec le Roi Mohammed VI, le Royaume remet à l'ordre du jour une tradition diplomatique qui a toujours fait défaut à nos voisins malgré les pétrodollars déversés généreusement sur les capitales du continent noir. Le Maroc peut parfaitement jouer un rôle non négligeable sur la scène africaine grâce justement à des atouts de proximité indéniables avec les populations de ces pays. A maints égards, nous tirons déjà les bénéfices politiques réels de cette diplomatie en rappelant simplement que l'Afrique est désormais une priorité au moins égale à celle de l'Europe.