L'énigme de la disparition de l'une des figures les plus emblématiques du Polisario est davantage épaissie par l'attitude d'Alger qui se montre très discrète sur l'évènement. Les Sahraouis privilégient la thèse de l'assassinat commandité par le tuteur algérien. Le défunt avait exprimé sa divergence avec les manœuvres de Bouteflika. Une maison à Laâyoune ne désemplit pas ces derniers jours. Située dans le quartier Azzamla, elle appartient aux parents divorcés de Mohamed Fadel Ismaïl, retrouvé mort, lundi 6 mai, dans son domicile à Londres dans des circonstances mystérieuses. Les habitants de Laâyoune se succèdent les uns après les autres pour exprimer leurs condoléances à la famille du défunt. Le père, un retraité des Far et la mère, une femme au foyer, reçoivent, dans une ambiance chargée d'émotion, les condoléances des amis, des proches voire d'anonymes. Les visages expriment la tristesse mâtinée d'une certaine stupeur. C'est que la disparition du représentant du polisario en Angleterre a surpris plus d'un. Personne parmi sa famille ni ses amis ne s'attendait à un tel coup du sort. D'autant plus que le défunt, qui était âgé de 53 ans, n'était nullement souffrant. Ce natif de Zagora pétait même la forme selon certains. Pour d'autres, il était asthmatique et cardiaque. L'ambassade d'Algérie à Londres, elle, s'est empressée de défendre la thèse de l'arrêt cardiaque avant même les conclusions de l'autopsie. Douteux. C'est le moins que l'on puisse dire. Sujet ainsi à caution, alimentant des versions contradictoires, le décès brutal de Fadel Ismaïl pose plus de questions qu'il n'en résout. C'est le propre des coups tordus des services secrets. La signature y est. Probablement. Les fins limiers de Sotland Yard se chargeront d'éclaircir l'énigme. En attendant, la mort de ce dirigeant important des séparatistes a donné lieu à un communiqué laconique de l'agence de presse du front polisario : “ Avec la disparition tragique de ce grand militant, le peuple sahraoui aura perdu un résistant fidèle à ses convictions et à sa cause de libération nationale“. Aucun mot sur les circonstances de ce décès étrange. Juste la décision de décréter le 10 mai, journée de deuil national. La gêne est très perceptible. Père de 6 enfants dont deux avec son ex-femme Gajmoula Ben Ebbi qui a ragagné le Maroc dans les années 90, Mohamed Fadel Ismaïl était décrit comme un homme cultivé, ouvert et affable. Il avait occupé de nombreux postes au sein de la direction du polisario. Ex-ministre de l'Information, ex-ministre auprès de l'OUA et ancien représentant du Front dans nombre de capitales. Son avant-dernier poste de “diplomate“, cet auteur de plusieurs livres l'a occupé à Paris où il était jugé particulièrement brillant pour avoir propagé efficacement la propagande du polisario. Issu de la tribu des Izirguiyine, fraction Chtouka et de famille des Souiyeh, le défunt, qui a fait ses études au Maroc, a trois frères dont l'un est enseignant dans une école privée à Laâyoune et l'autre cadre à l'agence urbaine de la même ville. Le troisième est installé à Las Palmas. Juste avant sa mort, M. Ismaïl rentrait d'un voyage d'une dizaine de jours à Tindouf où il avait dit haut et fort son désaccord avec l'option de la partition du Sahara marocain devant les responsables du polisario et leurs créateurs galonnés d'Alger. Ce faisant, le contestataire avait-il déjà signé son arrêt de mort, portant avec lui à son insu un billet de retour empoisonné ? Certains Sahraouis marocains, sous couvert d'anonymat, parlent d'ores et déjà d'une mort provoquée par les Algériens. Cette thèse se justifie à leurs yeux par plus grave que la critique de l'idée du partage: M. Ismaïl pensait de plus en plus faire défection et rallier le Maroc, la mère patrie. En effet, une figure politique de Laâyoune et un dirigeant du polisario en disgrâce, Bachir Sayyed El Ouali, ont amorcé depuis des mois avec l'intéressé une négociation dans ce sens dans une ville d'Espagne. Bachir Sayyed, qui vit aujourd'hui dans le no man's land entre le Maroc et la Mauritanie, avait été écarté de son poste important du dossier des négociations avec la Minurso sur les listes électorales, à cause de ses positions prônant plus d'indépendance dans les décisions par rapport à l'Algérie. “ Il est aujourd'hui question qu'il soit nommé ministre des Affaires étrangères de la fantomatique RASD“, nous confie un sahraoui très au fait des machinations de la sécurité militaire algérienne. Il ajoute sur le mode de la gravité : “ Si jamais Bachir Sayyed accepte cette offre, il risque de connaître le même sort que Fadel Ismaïl, lequel par le passé avait passé 6 mois en résidence surveillée à cause de ses prises de position critiques“. Le frère de Bachir, Mustapha, n'avait-il pas été liquidé il y a près de deux décennies en Mauritanie dans des circonstances jamais élucidées pour avoir tenté contrarier les projets d'Alger dans l'affaire du Sahara ? Si la presse anglaise, d'habitude friande des sujets croustillants, n'a pas fait ses choux gras de ce fait tragique, c'est que Fadel Ismaïl avait du mal à succéder au poste de Londres à Mokhtar Ibrahim, un homme qui maîtrisait l'anglais et savait capter l'attention des médias britanniques. Contrairement à son remplaçant jugé un peu réservé, en retrait même. Une attitude attribuée à sa connaissance plutôt moyenne de la langue de Shakespeare qui ne lui permettait pas d'être à l'aise avec les journalistes de ce pays. La dépouille de Mohamed Fadel Ismaïl devait être rapatriée à Tindouf. Dès lors qu'il était devenu encombrant pour ses commanditaires, ces derniers ont actionné le mode macabre du “switch off“.