Souad Khammal a perdu son mari et son fils dans l'attentat qui a visé la Casa de España. Elle préside l'Association des victimes du 16 mai à laquelle elle assigne comme objectif de lutter contre l'oubli des morts. Elle explique aussi que les parents des victimes luttent pour élever leurs enfants. Aujourd'hui le Maroc : Un an après les attentats du 16 mai, comment vivez-vous la commémoration de cet événement ? Souad Khammal : On n'a rien oublié. C'est comme si cela remontait à une semaine. On vit toujours avec la même douleur, la même peur et le même désarroi. C'est d'autant plus difficile pour nous qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'ils étaient encore vivants, à la même date, il y a juste un an. Le film rétrospectif de leurs faits et gestes défile dans nos têtes avec l'imminence de leur assassinat. C'est dur de se dire qu'ils étaient là l'année dernière ! Mais on essaie de s'accrocher à la vie. On essaie… Avez-vous bénéficié de soutiens? Oui, un soutien moral d'abord. SM le Roi Mohammed VI, le gouvernement et différents acteurs de la société civile nous ont aidés à ne pas nous sentir seuls face au malheur. Ce soutien moral nous a particulièrement touchés à l'occasion de la visite de M. Zapatero au Maroc. Le Souverain et son hôte ont inauguré à Casablanca une stèle commémorative, dressée à la mémoire des victimes des attentats du 16 mai. Nous avons été très touchés par ce geste, parce que nous réclamions cette stèle. Quant au soutien matériel, chaque famille des victimes a touché un don de 500 000 DH. Quelles sont les activités de l'association ? Notre association existe depuis le 23 octobre 2003. Elle a comme principal objectif de lutter contre l'oubli. Nous nous sommes constitués en association pour que l'on n'oublie pas nos morts. Nous avons au programme de nombreuses activités. Il y a une opérette contre le terrorisme et une visite au cimetière où sont enterrées les victimes le vendredi. Samedi, nous serons présents avec des artistes pour la réalisation d'un tableau en plein air. Et le dimanche, nous visiterons à 9 h du matin les différents sites frappés et à 10h 30, nous organisations avec d'autres associations une manifestation à la Casablancaise sous le nom de «festival de la tolérance». A propos de tolérance, avez-vous pardonné à ceux qui ont perpétré les attentats ? Je ne les connais pas pour leur pardonner. Ils ne connaissaient pas non plus mon mari et mon fils pour avoir quelque raison de les tuer. Je vais leur pardonner quoi ! La justice est la seule habilitée à se prononcer là-dessus. Quant à moi, je ne vois jamais en leur direction. Ils ne me concernent pas et n'ont pas d'identité. Et c'est pareil pour les autres membres de l'association. Nous pleurons nos morts et nos larmes n'ont pas encore tari pour qu'on puisse porter un regard, sans brouillard, loin de nos proches. Est-ce que la lutte contre le terrorisme fait partie des objectifs assignés à votre association ? Accessoirement ! Les parents des victimes ont créé une association pour qu'on n'oublie pas les morts et pour trouver la force d'élever leurs enfants. Nombreux sont ceux parmi nous qui ont perdu le goût de vivre après le 16 mai. Nombre d'entre nous ont des enfants pour qui il faut bien vivre, ne serait-ce que pour les élever. C'est surtout pour cela que notre association existe. Vous avez une fille de quinze ans. Comment ça se passe avec elle ? J'apprends à vivre pour ma fille. Il faut d'ailleurs que j'apprenne coûte que coûte à vivre. J'ai été si bouleversée par la mort de mon mari Abdelouahed et de mon fils Taieb que j'ai passé une très longue période dans un état de quasi-désespoir total. J'ai fait une dépression nerveuse et ai été suivie par des médecins. D'ailleurs, je ne suis pas encore sortie du tunnel. Je trouve le sommeil grâce aux somnifères et ai peur de me retrouver seule. Je me cramponne à ma fille pour trouver en elle l'espoir de vivre et puiser en ses ressources la force de lui donner une vie normale.