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Le gouvernement Jettou à travers les éditos de Khalil Hachimi Idrissi
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 12 - 07 - 2007


Un Premier ministre de souveraineté
La carte politique issue des élections législatives du 27 septembre 2002 n'a, à l'évidence, pas permis la nomination d'un Premier ministre politique. Elle n'a pas non plus permis, selon les résultats des tractations que nous avons vécues, l'émergence d'une majorité parlementaire claire, compacte et historiquement homogène. Les appétits des uns, les ambitions des autres, les calculs politiciens souvent étroits de la plupart de nos formations politiques ont probablement fini par créer les conditions d'une décision qui renvoie tout le monde dos-à-dos.
La situation actuelle de notre pays et les défis majeurs qui l'attendent permettaient-ils la nomination d'un Premier ministre politique alors que le champ politique s'est gravement balkanisé avec 22 partis à la Chambre, que le taux de participation n'a atteint que 50% et que l'on a compté lors du scrutin près de 2 millions de bulletins nuls ? La question est en tout cas à poser.
Le choix même du Premier ministre, en tant que tel, issu d'une hasardeuse alchimie électorale, ne semblait plus, en dernière instance, évident. On a entendu des hommes politiques éminents dans une sorte de lecture iconoclaste de la Constitution vouloir proposer au Souverain des Premiers ministrables agréés par leur Bureau politique pour éviter qu'un rival n'accède à la fonction suprême. En même temps, aucun des leaders politiques pressentis ou candidats autoproclamés n'arrivait à imposer auprès de l'opinion publique une légitimité supérieure susceptible de forcer la décision. Apparemment, il faut beaucoup de temps pour une nation comme la nôtre pour produire des hommes de la trempe d'Abderrahmane Youssoufi, qui peuvent susciter le respect, l'estime et la considération à la fois de ses amis et de ses adversaires politiques.
Mais ce qui est en apparence clair, c'est que nous étions peut-être face à une situation de blocage politique qui pouvait aboutir à des combinaisons politiciennes des plus sordides et nous étions aussi, probablement, pour nos formations politiques, face à un déficit de légitimité démocratique, conséquence directe de la faible participation et des scores étriqués obtenus par les uns et les autres. Aucun parti ne s'étant imposé d'une manière souveraine, indiscutable ou absolue, la porte s'est tout à coup, royalement, ouverte devant un homme consensuel, patriote et conciliateur comme Driss Jettou. Un Premier ministre de souveraineté.
Dans cette perspective, à propos des ministères de souveraineté, on peut dire que le débat qui a surgi ces derniers temps sur leur existence est tranché. Avec Driss Jettou comme Premier ministre, tous les membres du prochain gouvernement, quelle que soit leur couleur politique, seront des ministres de souveraineté. Une sorte de gouvernement d'union nationale pouvant faire face aux difficiles échéances qui attendent le Maroc en attendant une maturation politique et démocratique du pays pouvant ouvrir la voie à un véritable Premier ministre politique à la légitimité démocratique indiscutable, soutenu par une majorité parlementaire issue des urnes, claire, franche et loyale.
Le Premier ministre Driss Jettou en engageant une nouvelle manche du dialogue social en vue de la modernisation du Code du travail marocain, aborde un des plus importants dossiers de son mandat. C'est un dossier, de l'avis général, complexe et explosif qui invitera, sans doute, le chef du gouvernement à mettre en œuvre toutes les qualités que l'on lui prête : modestie, sens de l'écoute, pragmatisme, solution pacifique des conflits, etc.
Le gouvernement précédent, celui de l'alternance, à défaut de consensus syndical, a dû en son temps battre en retraite en abandonnant ce projet, ni fait ni à faire, malgré les atouts dont il disposait lui-aussi. Driss Jettou a personnellement et intimement la genèse de ce code sous plusieurs angles et avec plusieurs casquettes. Il l'a connu comme patron, comme responsable du commerce et de l'industrie et comme ministre des Finances. Aujourd'hui, il l'attaque en sa qualité de Premier ministre. C'est dire que Driss Jettou connaît son sujet par cœur ainsi que tous les protagonistes de ce «psychodrame» national.
En fait, de quoi il s'agit ? Il s'agit tout simplement de la modernisation des rapports qui existent dans notre pays entre tous les acteurs sociaux en garantissant deux libertés : celle du travail et celle du droit de grève.
Les droits des travailleurs et les droits, pour faire court, des patrons. Il s'agit aussi de fixer solennellement les devoirs des uns et des autres. Vous admettrez avec moi que personne, jusqu'à présent, ne pose le problème en termes de devoirs car cela fait probablement «réactionnaire», en ces temps où la logorrhée «progressiste» cache à peine tous les conservatismes, y compris les plus intégristes.
Du courage. Voilà ce qu'il faut pour franchir le pas. Une logique majoritaire, comme dans toutes les démocraties, doit s'imposer au niveau des deux Chambres pour que le Maroc soit doté, dans les meilleurs délais, d'une législation du travail susceptible de l'aider à relever les défis de l'emploi, de la croissance et de la mise à niveau. Si on excipe, encore, dans ce dossier, d'une logique consensuelle, rapidement, le Premier ministre risque de devenir l'otage des corporatismes, des démagogies et des populismes les plus établis.
L'acte fondateur, en termes d'acquis, pour le gouvernemental de Driss Jettou est incontestablement la réforme du Code du travail. Réglementer et consolider le droit de grève, affirmer le statut des délégués syndicaux, garantir la sécurité et la protection des outils de production, permettre la liberté de travail, institutionnaliser le dialogue et finalement, entreprendre tout ce qui concourt à l'amélioration de la productivité au sein de l'entreprise. On le voit bien, tout est à faire et la tâche paraît immense. Mais tout mérite d'être entrepris pour sortir de la jungle sociale actuelle qui ne sert, en fin de compte, ni les travailleurs ni les employeurs et encore moins l'économie nationale.
Pour atteindre cet objectif, au-delà de tout calcul, Driss Jettou doit pouvoir bénéficier de la confiance et du soutien de tous. C'est vital pour le pays.
Jettou II a enfin vu le jour. Ce n'est ni un changement de cap majeur, ni une nouvelle approche de l'action gouvernementale. On a plus fait dans la cosmétique que dans la chirurgie lourde. Par conséquent le message politique de ce lifting léger est quasi nul et même pour les observateurs les plus généreux, assez inaudible. Rien de fracassant, de tonitruant ou de mobilisateur.
Ceux qui attendaient de l'exaltation, du dépassement de soi ou du défi devront espérer de meilleurs jours. Nous avons juste affaire à un remaniement technique.
Dans le jargon médiatico-politique, cela veut simplement dire que des erreurs notoires de casting ont été corrigées ou, au mieux, des reformulations des responsabilités ont été effectuées.
Dans le cas précis qui nous intéresse, l'usage du mot «technique» sert à protéger le remaniement du commentaire politique et à le mettre à l'abri des analyses de même nature. En clair, si on remanie, techniquement, c'est parce qu'on vous a entendus, mais on ne vous a pas écoutés. C'est une question d'acoustique démocratique qui peut aller de la mal-entendance légère à la surdité aggravée.
Neuf partants avec cinq limogeages nets : Taieb Rhafès, Najib Zérouali, Najima Ghozali Tay-Tay, Mohamed Aujjar et M'Hamed Khalifa ; une mise en réserve de la monarchie : Khalid Alioua ; une injustice : Omar El Fassi ; une victime expiatoire, probablement consentante : Abderrazak Mossadeq ; et une expulsion : Mohamed Morabit.
Les nouveaux, quant à eux, sont cinq. Un médecin qui sort miraculeusement d'un long coma : Abderrahim Harrouchi. Trois hauts fonctionnaires recyclés hâtivement dans la politique : Anis Birou, Mohamed Boussaïd et Mohamed Mohattane. Et un manager rattrapé, de sa faute, par la ministrabilité : Salaheddine Mezouar.
Au niveau des partis politiques qui composent la majorité gouvernementale, rien de nouveau. Sauf, peut-être, l'agression caractérisée dont a été victime le RNI. Il a fourni le gros des partants et il joue la mère porteuse à son corps défendant pour la plupart des nouveaux. Il paie certainement là le prix fort pour la faiblesse de son leadership actuel.
Pour le reste, rien à signaler à l'horizon à part l'émancipation de Mohamed El Gahs qui n'a, désormais, plus affaire qu'à Driss Jettou. Et le maintien de Nabil Benabdallah à son poste de ministre de la Communication et de porte-parole du gouvernement car il est manifestement le seul à pouvoir incarner, contre vents et marées, surtout à la télévision publique, le « projet démocratique et moderniste » du pays. Voilà.
Il y a de quoi être très étonné ? L'économie marocaine a, malgré tout, encaissé tous les récents chocs pétroliers. Un vrai miracle. Au prix atteint par le baril de pétrole, les doctes experts prédisaient pour nous à défaut d'une explosion au moins une implosion du système économique et social. Cette capacité d'amortir les chocs, d'encaisser les coups durs et d'égaliser les pics a été un vrai avantage comparatif dont le gouvernement a su, avec beaucoup de réussite, tirer profit. En choisissant de jouer le jeu et de tenir le langage de la responsabilité aux syndicats, Driss Jettou a installé un vrai dialogue social. Cela aurait été un modèle de réussite absolu si l'objet du dialogue social était le dialogue social lui-même. Or l'objet de ce dialogue c'est le pouvoir d'achat, son rattrapage, son maintien ou son amélioration. C'est sur ce plan que l'imagination doit être au rendez-vous. Continuer à dépenser 19 milliards de dirhams dans une caisse de compensation «universelle» est devenu une stratégie anti-sociale. Rogner sur les investissements, c'est sacrifier l'avenir. Jouer sur l'augmentation du Smig quand les hausses ne sont pas effectives n'est pas très sérieux. Baisser la pression de l'IGR sur les salaires est astucieux, mais cela ne concerne, d'une manière significative, que ceux qui travaillent déjà, et encore. En fait, ce qu'il nous faut, c'est 2 points de croissance supplémentaires et rapidement. Aujourd'hui, c'est dans nos cordes; encore faut-il le dire aux Marocains, les exalter, les mobiliser et les faire rêver. Mais qui leur parle?
Quel est l'avenir politique de Driss Jettou ? Cette question qui est loin d'être anodine semble préoccuper un certain nombre d'observateurs de la vie politique en cette période de précampagne électorale. Posée directement à l'intéressé, la réponse fuse naturellement : «Là où je suis, je suis au service de mon pays. Je suis à la Primature en mission sur ordre de Sa Majesté pour servir le Maroc. Mes motivations sont connues; je suis parfaitement à l'aise.» Cependant, cette profession de foi n'annule pas pour autant toutes les conjectures. Il est admis généralement que l'horizon «opérationnel» de travail du gouvernement Jettou est bien 2010. À cette date, il est tenu à des livrables précis que représentent le produit des grandes réformes, l'aboutissement de quelques grands chantiers et la mise en œuvre des accords les plus décisifs. L'année 2007 est venue s'intercaler formellement comme un rendez-vous démocratique, certes incontournable, mais sans grande signification sur le plan programmatique ou celui du projet. La feuille de route du pays, telle qu'elle est tracée par SM le Roi, est connue. Il peut, à la limite, y avoir un effet d'alternance au niveau du style, des hommes ou du personnel politique exécutif mais pas ou peu au niveau des idées ou du programme. Nous ne sommes pas à la veille de faire un choix de société ou un choix de système économique. C'est ce qui fait dire que Si Driss Jettou doit aller au-delà de la présente législature, il sera amené à se trouver un destin politique surtout si le pays décide de revenir à la formule démocratique orthodoxe qui consiste, comme partout ailleurs dans le monde, à choisir le Premier ministre au sein de la majorité qui a gagné les élections.
Petit bonjour
Le «mercato» des Premiers ministrables commence à s'animer. Tout le monde — y compris l'opposition — s'accorde à reconnaître à Driss Jettou un bon bilan, et le Premier ministre lui-même s'apprête, «fair-play», à laisser à son successeur, dans le cas où il partirait, une feuille de route en bonne et due forme. Le bal des prétendants qui risque d'être, assez, chahuté peut donc commencer. Il y a d'abord ceux qui réclament le titre de plein droit. Numéros un, tauliers, patrons de partis politiques importants, ils se sentent faits pour la fonction, et capables de réunir autour d'eux une majorité — même impossible — pour gouverner. Abbas El Fassi, Mohamed Elyazghi, ou encore Mohand Laenser, Mustapha Mansouri — ou, pourquoi pas, Saâd Eddine El Othmani. Il y a, ensuite, ceux qui ont l'avantage d'avoir, en même temps, une couleur politique — pas trop fraîche quand même —, un bon bilan ministériel et un bon vernis technocratique. Cela semble répondre au cahier des charges démocratique qui récuserait désormais, nous dit-on, les technocrates «secs».


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