Après le coup d'Etat, les généraux putschistes voulaient trouver un moyen pour calmer les populations en colère contre l'arrêt du processus électoral d'une part, et éloigner l'armée de la façade du commandement de l'Etat d'autre part. Ils avaient tout intérêt à agir derrière un gouvernement pseudo civil, pour ne pas s'attirer les foudres des Etats occidentaux, qui bien soulagés de ne pas voir le FIS au pouvoir, ne pouvaient cautionner directement une dictature militaire. Les généraux : Khaled Nezar, Abdelmalek Guenaizia, Mohamed Lamari, Mohamed Mediene, Mohamed Touati devaient trouver le plus vite possible un chef d'Etat sur mesure, un homme qui remplirait des conditions bien précises. Comme base de départ, un critère était déjà réglé : “l'heureux” élu devait être un ancien moudjahid bien entendu avec un passe révolutionnaire irréprochable, une victime du régime de Chadli et même de Boumedienne si possible, et il devait être aussi loin de tout clivage politique. Les critères ainsi définis, peu de candidats pouvaient satisfaire le cahier de charges de chef d'Etat. C'est presque par hasard que le général Nezar évoqua le nom de Mohamed Boudiaf: un homme qui répondait à tous les critères et qui pesait lourd dans la balance. Mais un problème de taille se posait: Mr Boudiaf, voudrait-il de ce poste empoisonné alors qu'il avait abandonne la politique depuis bien longtemps et s'était consacré principalement à ses affaires et a sa famille? C'est alors que les généraux décidèrent de lui envoyer un de ses amis les plus proches pour lui faire la proposition et c'est Ali Haroun qui fut chargé de cette délicate mission. Tout le monde (les généraux en question) au SG du MDN (secrétariat général du ministère de la Défense nationale) retint alors son souffle. Des plus aux moins tentes, tous espérèrent une réponse positive de la part de Boudiaf. Au Maroc, les deux amis se rencontrèrent chez Si Mohamed, et Ali Haroun révéla le but de sa visite avec beaucoup d'émotion. Boudiaf ému mais non surpris, promit d'y réfléchir et de donner une réponse au plus vite. Après la consultation de sa famille et d'un ancien ami médecin marocain, il finit par accepter, non pour la splendeur du poste, mais parce que l'heure était grave et la situation du pays présentée par Ali Haroun était des plus catastrophique. Boudiaf fit ses premiers contacts à partir du Maroc avec d'anciens membres du PRS, et informa le Roi Hassan II qui prit cette nouvelle comme un don du ciel, car la crise du Sahara occidental allait peut-être ainsi trouver une solution. Les putschistes d'Alger furent informés de la nouvelle par Ali Haroun,et crurent voir une solution à la crise constitutionnelle qui menaçait même leur devenir. La nouvelle fut rendue publique et les préparatifs commencèrent pour accueillir l'enfant sauveur du pays. Il va sans dire que Paris fut informée de ce choix la nuit même où il avait été décidé de joindre Boudiaf, qui était bien connu des Français, car ancien adjudant de l'Armée française, médaille militaire et Croix de guerre. Que pouvait-on faire de mieux pour satisfaire les amis d'outre-mer? La boucle était ainsi bouclée et la légalisation du nouveau commandement politique du pays était ainsi réussie. Nezar avait contribué personnellement à l'acceptation de Boudiaf à la tête de l'institution militaire, mais certains officiers supérieurs qui désavouaient ce choix avaient pris cette nouvelle donnée comme une insulte. Ils n'avaient pas oublié que cette figure de la révolution s'était rangée aux côtés du Roi Hassan II lors de la Marche Verte, qui avait entraîné une guerre fratricide où des centaines de militaires algériens avaient trouvé la mort, sans parler des disparus et des prisonniers. A 73 ans, Boudiaf était loin de se douter qu'il allait enfin rentrer en Algérie avec le titre du plus haut magistrat, à qui l'on déroulerait le tapis rouge. Le fait qu'il soit resté longtemps éloigné de l'Algérie constituait pour lui un handicap majeur mais pour les vautours du MDN un avantage certain. Néanmoins une fois au palais de la présidence, Boudiaf se fit relativement vite à sa nouvelle vie, et commença à découvrir les secrets d'un Etat en plein de délabrement et sur tous les plans. Mais le pire de tout, c'est qu'il se trouva au seuil d'une guerre civile masquée par de faux rapports de sécurité (Il légalisa toutes les mesures sécuritaires décidées contre les sympathisants du FIS qui risquaient de mettre le devenir de l'Algérie dans le doute le plus absolu selon ces mêmes rapports). Il était complètement guidé par les décideurs du MDN dont il approuvait toutes les décisions sans commentaires, du moins au début. Peu à peu Boudiaf commença à prendre certaines libertés et à essayer de s'entourer de ses proches et placer ses amis fidèles à tous les niveaux. Le plus gros morceau restait tout de même l'armée dans laquelle il ne trouva que peu d'écho. Boudiaf se vit annuler plusieurs décrets ou nominations qu'il fit en faveur de certains officiers qu'il voulait autour de lui, et les prises de bec avec les hauts fonctionnaires du MDN furent fréquentes, car le MDN donnait très souvent des contre-ordres; et la marge de manoeuvre du président devenait de plus en plus étroite. Sous écoute permanente et surveille de très près: les contacts de Boudiaf étaient aussitôt identifiés et neutralisent “si nécessaire” par les tirailleurs du général Toufik. Ce n'est que tardivement que Boudiaf comprit que seule une assise populaire, légale et solide pouvait lui donner suffisamment de force mais surtout le pouvoir légal d'entreprendre tous les changements qu'il voyait nécessaires a la sortie de l'Algérie de sa crise. Mais, bien entendu, ces changements n'étaient pas au goût des forces ténébreuses au sein du pouvoir.Ces mêmes forces qui écrivirent les différents scénarios de la politique algérienne au travers du temps avaient d'autres projets. Boudiaf fut mis en garde par de rares fidèles au pouvoir et son chef de cabinet était harcelé par les appels téléphoniques d'une part et par les envoyés du MDN d'autre part, qui venaient lui demander de calmer Si Mohamed, car celui-ci prenait trop souvent, des décisions sans revenir préalablement aux dirigeants du MDN. Fort d'un caractère têtu, Boudiaf surprit tout le monde en décidant de rejuger le général Belloucif ; il venait ainsi de lancer aux barons d'Alger un défit des plus audacieux et ce après des consultations secrètes avec Kasdi Merbah. Il faut dire à ce titre que les deux hommes se connaissaient bien et étaient du même bord politique, et c'est la raison pour laquelle Kasdi Merbah promit son soutien a cet homme qu'il respectait.