«Le conseil militaire pour la justice et la démocratie» a mis fin hier, par un communiqué, au régime de Maouya Ould Sidi Ahmed Taya. Cette junte s'engage à diriger le pays pendant deux ans. Le temps de « créer les conditions favorables d'un jeu démocratique ouvert et transparent sur lequel la société civile et les acteurs politiques auront à se prononcer librement". Mais pour les Mauritaniens, habitués à des alternances de ce genre, une seule question était sur toutes les lèvres : qui est derrière ce nouveau conseil militaire ? Il s'appelle Ely Ould Mohamed Vall. Il est de la tribu commerçante des Oulad Bensebbah, éparpillée entre l'Adrar et le Tagant. C'est cet homme âgé d'environ 55 ans, inamovible directeur général de la Sûreté nationale mauritanienne depuis au moins une dizaine d'années, qui est présenté comme étant l'auteur du coup d'Etat en cours à Nouakchott depuis hier. En l'absence du président de la République, parti en Arabie Saoudite assister aux obsèques du Roi Fahd, tout est parti très vite. Dans la nuit du mardi au mercredi, alors que tout Nouakchott dormait, les chefs d'état-major de l'Armée, de la Garde nationale et de la gendarmerie sont arrêtés après leur refus de se rallier au putsh. Mohamed Vaidia, haute figure de l'armée mauritanienne, est aussi neutralisé. Le tout, sans qu'un seul coup de feu soit tiré. Surpris de voir à leur réveil des éléments de la Garde présidentielle, la BASEP, déployée autour des centres de commandement militaire et des édifices publics, la plupart des habitants de la capitale, habitués depuis quelques temps à des opérations musclées de la police tendues contre les islamistes et certains opposants, se demandaient s'il ne s'agissait pas d'une opération similaire. L'expectative aura été de courte durée, quand après l'encerclement de la Radio et de la Télévision, l'aéroport de Nouakchott sera fermé au trafic. Le doute n'est plus permis. Il s'agissait bien d'un coup d'Etat. Un peu avant 11 heures dans la mi-journée d'hier, les informations aussi contradictoires les unes que les autres, faisaient état tantôt de la réussite du putsch, tantôt de son échec. L'avion du président Maouya Ould Sidi Ahmed Taya, qui revenait de l'Arabie Saoudite, où il a assisté aux obsèques du Roi Fahd, aurait été dérouté vers le Niger. Originaire de Kaédi (sud de la Mauritanie), le président Mamad Tanjah est un ami personnel de Ould Taya. Les Nouakchottois le voyaient déjà en exil au Maroc ou au Sénégal. Celui qui est présenté comme l'auteur du putsh, Ely Ould Mohamed Vall, qui a fait une partie de sa formation à Meknès, est soutenu par la très loyaliste BASEP, cette unité présidentielle qui, ironie du sort, a été l'artisan de l'avortement de la tentative de putsh du 8 juin 2003. La BASEP est commandée par Ould Abdelaziz, cousin germain de Ely Ould Mohamed Vall, commandant et fondateur de cette Garde présidentielle. Depuis 1984, Ould Abdelaziz, marié à une Marocaine, est considéré comme l'un des hommes les plus proches du président de la République. Hormis deux petites années où il a été muté à l'armée, cet officier a toujours fait partie des personnalités fortes du Palais présidentiel. Comment le principal artisan du contre-coup d'Etat du 8 juin 2003 s'est-il retrouvé pourfendeur d'un régime qu'il a toujours défendu? C'est la question que tous les Nouakchottois se posaient hier à la mi-journée. Contrairement à la dernière tentative avortée, aucun mouvement de panique n'est observé. Si les commerçants du «Marché Capitale », principal centre de commerce de Nouakchott, ont baissé le store pour des mesures de sécurité et les fonctionnaires priés de rester chez eux, en revanche tout paraissait normal. Collés à leur transistor ou scotchés devant la télé, beaucoup attendaient un communiqué ou un quelconque éclaircissement. En l'absence des médias nationaux muselés, le téléphone arabe a vite pris le relais. Le silence des putschistes s'expliquait par les négociations engagées avec les garnisons et les camps militaires disséminés dans les douze régions de ce pays large comme deux fois la France, avec des disparités énormes. «La clé de la suite des événements réside comme d'habitude dans les bérets rouges d'Atar ». Du ralliement de corps dont la plus grande base est située dans la ville natale du président Ould Taya, dépendra cette alternance militaire. En attendant, les pronostics vont bon train. Beaucoup parmi les observateurs voient dans ce coup de force le résultat de l'éloignement progressif de la Mauritanie par rapport à la France. L'ex-puissance coloniale, en perte de vitesse au profit de l'Amérique, devenue depuis 1999, et une certaine rencontre où Madeleine Albright a scellé le pacte d'amitié entre ce pays islamique ultra-conservateur et l'Etat hébreu, un allié de Washington. D'autres spécialistes de la région voient dans ce putsh les relents d'une politique maghrébine. Le rapprochement entre Nouakchott et Rabat dérangerait-il quelque part, de Tindouf à Alger? Et si l'attaque de la garnison militaire de Lemghtey, le 5 juin dernier, n'était qu'un avertissement? Bref, les spéculations sont nombreuses. «Connaissant le background des deux personnes présentées comme les auteurs de ce putsh, je pense que la nouvelle donne va dans le sens du renforcement de l'axe Nouakchott-Rabat », commente Sidi Ould Mokhtar Cheiguer, journaliste et ancien directeur général de la Télévision mauritanienne.