Quelle est la place qu'occupe actuellement la langue amazighe dans le paysage éducatif marocain? C'est la question que se posent les observateurs de la scène éducative sept ans après l'introduction de cette langue dans le système d'enseignement marocain. «Le nombre d'établissements qui enseignent la langue amazighe s'élève à près de 4.000 et les bénéficiaires, au titre de l'actuelle rentrée scolaire, à quelque 600.000 élèves». C'est ce qu'a affirmé récemment Latifa Labida, secrétaire d'Etat chargée de l'Enseignement scolaire. Mme Labida a précisé que ces chiffres révèlent qu'un progrès remarquable a été réalisé dans l'enseignement de cette langue. Mais est-ce que ces chiffres sont fiables? L'Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) et l'Observatoire amazigh des droits et des libertés en doutent. «Au niveau des écoles primaires, plus de 400.000 élèves bénéficient de l'enseignement de l'amazigh, soit 10% du nombre total des élèves estimé à 3,5 millions», apprend-on auprès de l'IRCAM. «Les chiffres du département de l'Enseignement scolaire sont trop gonflés. Il y aurait beaucoup moins de 600.000 ou 400.000 élèves à qui on enseigne la langue amazighe», note Abdellah Hitous, secrétaire exécutif de l'Observatoire amazigh. Bien que le chiffre de 600.000 élèves avancé par le département de l'Enseignement scolaire soit contesté, il montre, dans tous les cas, que la généralisation de l'enseignement de l'amazigh n'est pas encore pour demain. A noter que le Guide de l'enseignement de la langue amazighe, élaboré en 2003, prévoit la généralisation de l'enseignement de cette langue à tous les établissements scolaires du Maroc. Cet objectif parait désormais difficile, pour ne pas dire impossible, à atteindre. «A prendre en considération le rythme actuel de développement de l'enseignement de l'amazigh de 1,5%, il nous faudra encore 70 ans pour généraliser la langue amazighe au moins au niveau primaire», ironise Khalafi Abdeslam, chercheur auprès du Centre pédagogique et didactique de l'IRCAM, dans une déclaration à ALM. Selon le département de l'Enseignement scolaire, c'est la carence en matière de l'élément humain qui constitue la principale entrave. D'après Mme Labida, le ministère de l'Education nationale met l'accent, pour surmonter cette difficulté, sur la formation continue pour faire face aux contraintes liées à l'élément humain. L'IRCAM et l'Observatoire amazigh ont une autre vision des choses. «La généralisation s'est heurtée à plusieurs difficultés. Tout d'abord, il est à signaler que la Charte de l'éducation ne prévoit pas la langue amazighe comme matière obligatoire. Dans le cadre de son inspection de certaines écoles censées enseigner l'amazigh, l'IRCAM avait relevé que soit la langue n'y est pas enseignée carrément, soit qu'elle est enseignée uniquement au niveau de la première et la deuxième année, soit qu'elle est enseignée de façon interrompue», indique M. Khalafi. Ce chercheur auprès de l'IRCAM pointe du doigt, également, l'absence totale des centres régionaux de formation des enseignants. «Ceci dit, le problème le plus consistant qui entrave sérieusement l'élargissement du réseau d'enseignement de l'amazigh c'est l'absence d'un plan d'action et d'une vision stratégique du ministère», souligne M. Khalafi. L'Observatoire amazigh des droits et libertés tire, pour sa part, la sonnette d'alarme tout en adressant des critiques à l'égard du ministère de tutelle et l'IRCAM. «L'IRCAM n'a pas su utiliser toutes le prérogatives qui lui sont dévolues par la loi pour promouvoir l'élargissement du réseau d'enseignement de cette langue», note M. Hitous. L'Observatoire amazigh reproche, par ailleurs, au ministère le manque flagrant de volonté politique de promouvoir l'enseignement de l'amazigh. «Il n'existe pas dans l'organigramme du département de l'Enseignement scolaire d'entité chargée de l'enseignement amazigh à même d'assurer le suivi et établir des recommandations», indique le secrétaire exécutif de l'Observatoire. «Au lieu d'aller de l'avant, nous avons enregistré cette année des reculs, à partir du moment que l'enseignement de l'amazigh a été supprimé au niveau de plusieurs écoles», ajoute-t-il. Selon M. Hitous, la seule solution à même de remédier à cette situation étant de commencer par constitutionnaliser la langue amazighe dans l'objectif de conserver les acquis réalisés depuis 2001, s'agissant de la promotion de la culture amazighe dans sa globalité.