Jeune et inexpérimenté, Moqtada Al-Sadr n'en est pas moins devenu un véritable guide de l'insurrection irakienne contre l'occupation des forces de la coalition. Un statut qu'il a gagné par des positions jugées radicales, mais aussi par le ras-le-bol général de la population. L'homme est plutôt jeune, impulsif, inexpérimenté. Il y a quelque temps encore, on ne parlait de lui en Irak que pour évoquer son ascendance. Une famille « sacrée» chez les Chiites d'Irak, qui fait office de véritable référence, religieuse comme politique. Mais pas lui. Du moins, pas encore. A 30 ans, Moqtada Al-Sadr passait presque inaperçu, pour ne pas dire qu'il était totalement méconnu, à l'extérieur comme à l'intérieur, à moindre degré, de l'ancienne Mésopotamie. Moqtada Al-Sadr s'était rendu populaire, il y a quelques mois seulement, au sein de la cité Sadr à Bagdad, dont les quelque 2 millions d'habitants sont à une écrasante majorité chiites. Une cité, dite « Cité de la révolution» ou «Cité Saddam» sous l'ancien régime, qui tient son nom même de la notoriété et la respectabilité des Sadr et qui a été renommée « Al-Sadr » dès la chute du dictateur. Toujours est-il que Moqtada ne répondait pas aux critères requis pour devenir cette véritable autorité qu'il est désormais, avec des disciples qui se comptent par dizaines, centaines voiremilliers et qui sont prêts à tout. Ses ordres trouvent non seulement une écoute et des échos favorables, mais des jeunes prêts à les exécuter sans discuter. Le poids de son ascendance, il est le fils de l'ayatollah Mohammed Sadeq Al-Sadr, tué, ainsi que deux de ses fils, en 1999, par le régime aujourd'hui déchu, et la situation politique et sociale ne font que renforcer Al-Sadr dans ses positions et dans sa place de leader. Des positions que les forces de l'occupation en Irak et leurs corollaires un peu partout dans le monde jugent radicales. Une place vidée de toute sa substance et qu'il n'a pas eu trop de mal à occuper. Ses sorties, marquées par des propos on ne peut plus claires, quant à la nécessité de lutter contre l'occupation par les armes, en font de lui la personnalité chiite et irakienne la plus médiatisée. Le statut de hors la loi que les USA, par la voix de Paul Bremer, l'administrateur du «nouvel» Irak, lui a valu les Unes d'une bonne partie des journaux. Le mandat d'arrêt prononcé contre lui lundi 5 avril, en pleine révolte chiite, a fait de lui un véritable héros, guide de la résistance irakienne. Argument invoqué: son implication directe ou indirecte dans un crime commis, il y a près d'un an, en Irak, accusation dont il s'est toujours lui-même défendu : il s'agit du meurtre, en avril 2003, d'Abdel Majid Al-Khoeï, un autre responsable religieux chiite rentré dans son pays à la faveur de la guerre lancée par les Etats-Unis. D'après, le quotidien français Le Monde, Mohammed Sadeq Al-Sadr était lui-même proche parent d'un grand ayatollah très respecté, Mohammed Baqer Al-Sadr, assassiné par les sbires du régime en 1980. En dépit des discours enflammés anti-américains qu'il tient depuis un an, le jeune Al-Sadr s'était, jusqu'à il y a quelques jours, conformé, dans l'ensemble, aux directives du grand ayatollah Ali Al-Sistani, lequel, très critique du comportement de la coalition occupante, n'en prône pas moins la résistance pacifique. De par son parcours, Moqtada Al-Sadr n'a pas encore atteint le stade de moujtahed, le premier échelon de la haute hiérarchie religieuse chiite. Mais dès la fin juillet 2003, Moqtada Al-Sadr annonçait la création de « l'Armée du Mahdi » en référence au Mahdi Al montadar, «l'attendu». Mission initiale : assurer la sécurité des Lieux saints chiites. C'est cette même « Armée du Mahdi » qui se bat aujourd'hui contre différents contingents de la coalition. En octobre 2003, il avait menacé de mettre sur pied un gouvernement qui fasse contrepoids au Conseil intérimaire de gouvernement constitué à l'ombre de la coalition, au sein duquel il n'était pas représenté et qu'il critiquait violemment. Outre le lien avec l'aile conservatrice du régime iranien, Moqtada Al- Sadr partage avec le secrétaire-général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, la même conviction que le pire pour l'islam ne vient pas du caractère totalitaire des pays arabo-musulmans mais bien des Etats-Unis et d'Israël. Le dirigeant chiite, dont les partisans se heurtent depuis plusieurs jours aux forces de la coalition dans plusieurs villes d'Irak, a menacé mercredi les Etats-Unis d'un « nouveau Vietnam » si le pouvoir n'est pas transféré rapidement aux « Irakiens honnêtes ». «J'appelle le peuple américain à soutenir leurs frères, le peuple irakien, qui souffre de l'injustice de vos dirigeants et de l'armée occupante, à les aider dans le transfert de pouvoir aux Irakiens honnêtes», a-t-il dit dans un communiqué diffusé par son bureau de Nadjaf dans le sud de l'Irak. « Sinon, l'Irak sera un autre Vietnam pour l'Amérique et les occupants », a-t-il prévenu. Vu le nouveau poids que le jeune leader est en train de gagner, ces paroles ne manqueraient pas d'être prises au sérieux.