La mort très médiatisée des deux journalistes américains décapités par les membres d'ISIS (l'Etat islamique en Irak et en Syrie) dernièrement a provoqué un regain d'attitudes négatives envers les musulmans aux Etats-Unis. C'est sur ce triste constat que «The Daily Circuit», une émission de radio publique américaine, a décidé de se pencher sur le sujet de «l'Amérique et sa relation avec l'Islam». Pendant 45 minutes, la journaliste de MPR (Minnesota Public Radio) Kerri Miller, a ouvert le micro aux auditeurs, invités à poser leurs questions à trois éminents spécialistes des questions de religion et du monde arabe : Jeanne Kilde, directrice du programme sur les études religieuses à l'Université du Minnesota, Edward Curtis, professeur d'études religieuses à l'Université Purdue d'Indianapolis et le Marocain Anouar Majid, professeur d'anglais, directeur du Center for Global Humanities à l'Université de New England et auteur du livre «Islam & America». Dans le but ultime d'ouvrir un dialogue entre les peuples et de faire cesser la méfiance que la majorité de la population ressent envers les musulmans, notamment lorsque l'amalgame devient plus facile au regard des atrocités commises par l'Etat islamique au nom de la foi musulmane, les intervenants étaient tous d'accord sur un point : c'est la méconnaissance de l'autre qui provoque la méfiance envers l'autre. Leur constat à ce sujet est clair: «lorsqu'on comprend ce qu'est l'Islam et qui sont les musulmans, alors les non-musulmans se montrent de plus en plus ouverts envers eux. Sitôt que les gens se rencontrent, communiquent, travaillent ensemble, les deux parties changent d'avis et le regard péjoratif qu'ils portaient les uns sur les autres devient positif». La première question que les invités se sont posées fut : «Qu'est-ce qu'un musulman ? Est-ce quelqu'un qui prie tous les jours ? Est-ce quelqu'un qui est né musulman ?» A cela, le docteur Majid a d'abord répondu qu'il «y a différents niveaux de dédication à la foi musulmane, tout simplement parce que les populations musulmanes s'étendent du Maroc à l'Indonésie - sans compter les minorités en Europe et sur le continent américain - et que forcément, au même titre qu'un chrétien chilien ne vivra pas sa foi de la même manière qu'un Chrétien d'Inde, un musulman marocain ne vivra pas sa foi de la même manière qu'un musulman d'Asie du Sud-est.». Une auditrice - musulmane américaine - a ensuite pris la parole pour dire comme «à chaque fois qu'il y a une tragédie, comme l'attentat de Boston en avril 2013 par exemple, on prie pour que ce ne soit pas des musulmans qui aient commis le crime». Ce sentiment est très répandu dans la communauté musulmane aux Etats-Unis. Anouar Majid a répondu qu'en effet, «les musulmans ne font pas assez pour contrer les barbaries commises par les membres d'ISIS. Il est rare d'entendre des musulmans condamner des actes de terrorisme commis par d'autres Musulmans. Les musulmans doivent s'exprimer plus, c'est le seul moyen de se faire connaître et de calmer les esprits échauffés contre eux. Les musulmans doivent expliquer leur religion - par tous les moyens médiatiques aujourd'hui disponibles - pour dire que l'Islam est différent de ce qu'on entend dans les médias». Parce qu'en effet, si les seules références à l'Islam sont faites lors de tragédies, alors les réactions négatives envers la religion musulmane sont obligatoires. Et c'est exactement ce qui se passe: «Depuis 2001, l'Islam est victime des informations qui ne se concentrent que sur les extrémistes et les événements dramatiques qui se suivent malheureusement à un rythme de plus en plus rapide et qui n'aident absolument pas à calmer les esprits», remarque Kerri Miller. «Nous tendre la main» Les invités de l'émission étaient tous absolument d'accord sur ce point : «Nous devons éduquer les gens sur ce qu'est l'Islam et, au-delà, sur comment les religions fonctionnent. Parce que les Américains ne savent pas grand-chose sur l'Islam et il est du devoir des communautés musulmanes de mieux communiquer sur leur religion». La journaliste a ensuite diffusé un extrait du discours que Barack Obama a prononcé au Caire en 2009. On entend le président américain exhorter les peuples à «se tendre la main» : «Ce n'est pas un simple discours qui va effacer des années de méfiance... afin d'aller de l'avant, nous devons nous dire ce que nous avons sur le cœur... nous devons nous tendre la main, nous comprendre, nous écouter mutuellement...». «Malheureusement, Barack Obama n'a pas reçu un écho très positif dans le monde arabe», regrette Anouar Majid en réaction à la diffusion de cet extrait. «Le problème vient peut-être aussi du fait que chaque religion se croit supérieure à l'autre et que l'histoire des Etats-Unis est très peu connue et comprise par le monde arabe et vice versa. Alors comment s'accepter mutuellement sans comprendre nos histoires et contextes réciproques ?» Par: Eve Boisanfray. New York