L'on dit que les peuples ont la mémoire courte. Pourtant, le 17 décembre 2010 marquera à jamais celle de la Nation arabe. Ce jour-là, un jeune marchand ambulant de Sidi Bouzid en Tunisie, humilié, écœuré par la énième saisie de son outil de travail, une charrette et une balance, s'immola de désespoir, puis s'éteignit le 4 janvier 2011. Par son geste inouï, il déclencha une puissante lame de fond à laquelle peu de dictateurs de l'époque résistèrent. Qui aurait imaginé la fuite précipitée de Ben Ali, la chute déshonorante de Moubarak ou la mort abjecte de Khaddafi ? Qui s'attendait à voir les peuples arabes, bâillonnés pendant des décennies par d'intraitables régimes autoritaires, finir par secouer la chape de plomb qui les empêchait de vivre. Reconnaissant en l'acte désespéré de Bouazizi le signe du destin, le peuple tunisien descendit sans hésiter dans la rue et chassa le dictateur, effaçant du coup l'odieuse image de l'Arabe voué à ne choisir qu'entre extrémisme religieux et dictature laïque. Pour cela, et pour les émules auxquels il a donné naissance, toute une nation au sud et à l'est de la Méditerranée est profondément reconnaissante au peuple tunisien. Allant plus loin, les enfants laïcs et religieux du berceau du soubresaut arabe ont su préserver leur vivre ensemble, et évité de basculer dans le chaos, en se dotant d'une Constitution progressiste. Dans un savant mélange de laïcité et d'«islamité», ils ont jeté avec intelligence les fondements d'un Etat modèle pour les pays qui se débattent encore dans les turbulences de la révolution du jasmin. Aujourd'hui, la rive méridionale de la Méditerranée continue de frémir, dans l'attente d'une décantation salutaire, avant que les idéaux de ses peuples ne se dissolvent dans les désillusions de l'Histoire, et que les dérives post-révolution ne donnent raison à Louis Latzarus : «Toute révolution est commencée par des idéalistes, poursuivie par des démolisseurs et achevée par un tyran.» Bien des incertitudes planent sur la région. De sombres nuages plombent des ciels qui résonnent encore des slogans de révolutionnaires armés de leur foi et de leurs idéaux. En Tunisie, plusieurs éléments font redouter une montée en puissance du terrorisme qui placerait le pays dans la sphère de turbulence géopolitique régionale. Ainsi en est-il du lynchage de Lotfi Nagdh, des attentats de Sousse et de Monastir qui visent à tarir les flux touristiques, de l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis, des attentats visant les forces de sécurité et des attaques ciblant l'armée nationale, du pourrissement d'un foyer terroriste au Mont Chambi et le long de la frontière algérienne, des faux barrages à Jendouba dans un remake des modes opératoires algériens, des événements de Raoued, etc. Résultat, trois années après la révolution du Jasmin, les touristes se font toujours désirer. De 7 millions qui avaient séjourné durant la dernière année du régime de Ben Ali, ils ne sont plus que 4,45 millions aujourd'hui. C'est justement dans ce contexte incertain qu'un homme a choisi de partager le quotidien de ses habitants, si tant est que sa charge puisse le lui permettre. Ignorant tout protocole, faisant fi des simples précautions de sécurité, en jeans et chemise d'été, il se promène à pied dans la mythique avenue Bourguiba, déambule dans les souks ombragés, se mêle à la foule de passants abasourdis, se laisse prendre en photo par des Tunisois ébahis. Ce faisant, l'homme proclame avec éloquence à la face du monde sa foi dans une Tunisie éprise de paix, de liberté et de progrès, et affiche son engagement pour un Maghreb porté par les aspirations de peuples qui ont tant pâti de dirigeants en décalage avec leurs aspirations profondes, fossilisés à jamais dans les reliques de l'histoire tourmentée du siècle dernier. En se moulant en toute simplicité dans le quotidien de milliers de Tunisiens, en phase avec son siècle, en résonnance avec les aspirations des peuples du sud de la grande mare bleue et d'Afrique, en harmonie avec un idéal maghrébin longtemps contrarié, cet homme est en train d'insuffler espoir à des peuples éprouvés par la myopie de leurs dirigeants, d'influer le cours des événements vers les aspirations des générations de ce siècle. La balade de cet homme dans les rues de Tunis n'est pas un événement anodin, et encore moins une information pour un magazine People. Elle est celle d'un homme en train de marquer l'Histoire de son empreinte de leader engagé. Cet homme est le Roi du Maroc.