Madame Khadija Rouissi a démissionné du Forum Vérité et Justice (FVJ). Dans cet entretien, elle explique qu'elle est en faveur d'une négociation entre le FVJ et les autorités. Elle récuse dans ce sens les thèses des membres du Bureau exécutif du FVJ qui appellent à ne pas engager de discussion avec l'Instance Equité et Réconciliation. Aujourd'hui le Maroc : Pourquoi avez-vous démissionné du Forum Vérité et Justice ? Khadija Rouissi : Je ne souhaite pas faire actuellement de déclarations sur les raisons de ma démission du Forum. Ma démission est entre les mains du Bureau exécutif qui l'étudie. J'attends la suite que le Bureau donnera à ma demande, avant de rendre publique les raisons de mon acte. Cela signifie-t-il que vous pouvez revenir sur votre démission ? Oui, il se peut que je revienne sur ma décision. Je le ferais avec force et enthousiasme pour l'intérêt des victimes. Sur le plan de la gestion stricte, les prises de positions du Forum peuvent affecter d'une façon ou d'une autre les victimes et leur famille. Le rôle du Forum consiste à réparer les torts subis par des victimes de la disparition forcée, de la détention politique, de l'exil. Notre rôle consiste aussi à accompagner les actions de l'Instance Equité et Réconciliation, tout en tenant un discours critique à son égard. Et justement votre démission aurait trait à une radicalisation des membres du Bureau exécutif du FVJ qui rejettent l'idée d'une négociation avec les autorités. Qu'en pensez-vous ? Ecoutez ! La mission du Forum consiste à lutter pour que la lumière, toute la lumière, soit faite sur les disparus et les torturés. C'est notre objectif. Mais chercher à atteindre cet objectif ne signifie pas qu'on devrait se fermer à la négociation avec les autorités, lorsqu'elles sont disposées à réparer le tort subi par les victimes. Pour ma part, je suis favorable à la négociation avec les autorités. Et je ne suis pas la seule, puisque le Conseil national du Forum Vérité et Justice nous a demandé de négocier avec l'Instance Equité et Réconciliation. Et si les membres du Bureau exécutif du Forum rejetaient l'idée d'une négociation avec l'Instance Equité et Réconciliation ? Ils ne peuvent pas le faire ! Le conseil les exhorte à négocier. D'ailleurs cette attitude rigide est contraire à celle des familles des victimes. Il faut s'approcher des familles pour s'en rendre compte. Elles ne portent pas la rancune dans leur cœur. Ma mère, à qui l'on a enlevé son fils aîné en 1964, ne diffuse pas la culture de la rancune. Je ne l'ai jamais entendue appeler à la haine ou à la vengeance. C'est la culture de la réconciliation que l'on doit défendre. Il faut se battre pour que cette culture triomphe. Que souhaitez-vous que les autorités fassent pour que la page des disparus soit définitivement tournée ? En darija, il existe un terme très éloquent pour désigner un disparu : on dit, “r'brouh“. En d'autres termes, on l'a rendu à l'état de poussière. Mon frère a été réduit à l'état de poussière en 1964. S'il est vivant, on doit le libérer. S'il est mort, les autorités doivent rendre sa dépouille à sa famille. Ne serait-ce que pour permettre à cette famille de faire le deuil ! Un travail laborieux attend les autorités dans ce sens. Il faut enlever la peur. Comment est-ce qu'un Marocain peut faire de la politique demain, en tant qu'opposant, s'il a peur de disparaître un jour ? La peur prend d'ailleurs des formes multiples comme l'autocensure, l'annihilation de l'esprit d'initiative, le rejet de la réforme. Tout porte à croire que l'Etat marocain est engagé dans ce sens… Mais il existe un tortionnaire arrogant qui circule en toute liberté. Ce n'est pas la haine qui me fait parler ainsi. Des personnes ont torturé d'anciens détenus et regrettent leur acte ou du moins se cantonnent dans un silence honteux. Mais une personne, résidu opiniâtre d'un autre temps, se vante en public de ses actes de torture au nom de la défense des intérêts de la nation. Ce monsieur siège à la Chambre des conseillers. Il est inadmissible qu'un tortionnaire fasse de la politique. La vie est courte. Il est important qu'on la vive sans être exposé à des décisions arbitraires et à l'arrogance de tortionnaires impénitents.