La campagne d'assainissement de 1996, d'apparence justifiée par une volonté de nettoyer les rouages économiques, a rapidement tourné en une opération de règlement de compte. La série d'arrestations de hauts responsables impliqués dans le trafic international de drogue, après le coup de filet de Tétouan, rappelle quelque peu la campagne d'assainissement de 1996 qui avait eu lieu effectivement quatre ans auparavant. A l'époque, les responsables sécuritaires et encore moins les magistrats, n'ont pas été touchés par l'opération de nettoyage. La principale cible a été le monde des affaires. Certains industriels ont été arrêtés puis jugés pour fraude. C'est ainsi que plusieurs hommes d'affaires se sont retrouvés sous les verrous. Toutefois, cette campagne d'assainissement de 1996 a également touché de très puissants trafiquants de drogue. Le coup d'envoi de cette «campagne d'assainissement» qui, depuis janvier 1996, est menée par l'Unité de coordination de la lutte antidrogue (UCLAD), sous tutelle du ministère de l'Intérieur, a été donné le 19 décembre 1995 par l'arrestation, à Tétouan, d'Abdelaziz El Yakhloufi. Possédant la double nationalité marocaine et espagnole, El Yakhloufi était l'un des barons les plus célèbres dans la région Nord du pays. Il était à la tête d'une filière intégrant le transport de la drogue depuis les zones de production du Rif, le stockage dans sa réserve de chasse de la région de Tétouan, l'envoi en Espagne par voie maritime, jusqu'à la réception par des grossistes qui se trouvaient essentiellement aux Pays-Bas. Après El Yakhloufi, un nombre impressionnant des barons sont rapidement tombés. Il s'agit notamment de Derkaoui, Hattachi, Allouch, des frères Arbiti, Salah Ahmout et surtout Ahmed Bounekkoub, alias H'midou Dib. Après ces arrestations, les enquêteurs ont découvert un réseau beaucoup plus important qu'il ne paraissait. La fourmilière était composée de hauts responsables sécuritaires dans pratiquement tous les services et de plusieurs magistrats. Rapidement, la collusion entre pouvoirs publics et la mafia de la drogue a été passée sous silence. A quelques exceptions près où des commissaires ont été cités à comparaître mais leurs cas rapidement contenus. Grâce au témoignage du célèbre baron de la drogue, H'midou Dib, le commissaire Abdelaziz Bennis avait été carrément blanchi. Cette fois, c'est l'inverse qui se produit. Les aveux d'un trafiquant de drogue, en l'occurrence Mounir Erramach, ont permis d'arrêter un nombre considérable de hauts responsables sécuritaires, civils et militaires, ainsi que des juges et des puissants hommes d'affaires. Tous, y compris Mounir Erramach, ont été déférés devant le magistrat d'instruction de la Cour Spéciale de Justice (CSJ). Contrairement aux informations colportées par certains organes de presse, seule l'instruction préliminaire a déjà eu lieu avec les 27 mis en cause à la CSJ. Les interrogatoires approfondis n'ont pas encore eu lieu. Le juge d'instruction fixe lui-même la date. Jusqu'à présent, les avocats de la défense n'ont pas été convoqués à assister à ces interrogatoires approfondis. Ces derniers sont beaucoup plus importants que les préliminaires. Et pour cause, les accusés ne sont pas tenus de répondre aux questions du juge. En général, ils préfèrent attendre l'instruction approfondie qui se déroule souvent en présence de leur avocat. Selon des sources dignes de foi, seuls les gendarmes ont reconnu les faits qui leur sont reprochés. Tous les autres inculpés, policiers, magistrats, hommes d'affaires, intermédiaires et trafiquants ont nié en bloc les griefs retenus contre eux.