J'étais invité vendredi à la conférence organisée par l'IMRI (Institut marocain des relations internationales) sur le thème : «Printemps arabe, espoirs et réalités». J'y intervenais sur «Culture, une urgence», force étant de constater que ce que l'on continue d'appeler Printemps arabe ne donne pour l'instant que des fruits bien amers: notamment le recul des libertés en particulier pour les femmes et culture en danger. Dire et redire que la culture est l'âme d'un pays, l'âme d'un peuple, qu'elle participe au rayonnement international d'une Nation, qu'elle constitue une pépinière d'emplois... n'est plus suffisant, la culture est «en état d'urgence» dans tous les pays du Printemps arabe ! Les dangers qui la guettent ont pour noms, repli identitaire, fermeture des esprits, diabolisation de tout ce qui est «autre»... C'est tout particulièrement la diversité culturelle qui est visée : or le métissage, le brassage des cultures sont sûrement le meilleur outil contre la haine, contre le rejet de l'autre, contre la peur... Peu à peu on cherche à remplacer cette diversité par un modèle unique, sclérosé et sclérosant, comme s'il fallait passer par un tamis toute création afin de voir si elle correspond au «modèle» que l'on cherche à imposer et si tel n'est pas le cas la déclarer «impropre» ! La culture est de fait le meilleur engrais du «vivre ensemble», et une société n'est jamais aussi forte que lorsqu'elle s'ouvre ! Ce n'est pas l'ouverture qui représente un danger mais bel et bien le repli qui est suicidaire car il coupe une société de tout apport, de tout sang neuf, de tout affluent et conduit peu à peu une nation à s'appauvrir un peu comme ces mariages consanguins qui empêchent tout renouvellement et conduit à la dégénérescence. Au Maroc la diversité culturelle fait à ce point partie de nos gènes qu'elle perdure malgré les aléas, cependant il faut bien avouer qu'elle y est en déshérence... des signes le montrent, tels le désintérêt total des élus pour ce domaine, telle cette volonté (heureusement déjouée par les internautes) de vouloir transformer le seul espace culturel d'envergure de Casablanca «la Fabrique Culturelle» en parking ou encore ces manifestations d'intolérance vis-à-vis du film de Kamal Hachkar, de «Tinghir à Jérusalem». La jeunesse dans notre pays ne peut compter ni sur des ateliers de création, ni sur des studios de répétition, ni sur des espaces d'exposition et nos télévisions ne remplissent aucunement le vide culturel béant… Cette absence criante d'une politique culturelle de proximité trouve un exutoire sur les réseaux sociaux, c'est là que le talent de nos jeunes, de nos artistes se fraye les voies de son public. Allez donc visionner la vidéo de l'un de nos jeunes créateurs Anass El Gad, «Schkoun Ana» sur Youtube (vue des milliers de fois en quelques jours) et vous constaterez que ce ne sont pas les talents qui nous manquent mais bel et bien les moyens de leur émergence... La culture est le sang qui irrigue un peuple, un pays, privez ce sang de son oxygène : la création, la diversité, la libre expression...et vous le verrez très vite dépérir et entraîner la mort lente de la société elle-même!