La Journée internationale de la Douane (JID), célébrée le 26 janvier de chaque année, est placée en 2021 sous le signe « Relance, Renouveau, Résilience: La douane au service d'une chaîne logistique durable ». A cette occasion, El Arbi Belbachir, ancien haut fonctionnaire à l'Administration des douanes et des impôts indirects (ADII) et expert en lutte contre la fraude et le trafic illicite des stupéfiants analyse, dans un entretien, l'importance du rôle des Douanes dans la relance post-coronavirus. 1. Vous vous apprêtez à sortir le deuxième tome de votre ouvrage « Les douanes aux frontières du numérique », un an après le premier. Quelles en sont les grandes lignes ? Ce second ouvrage constitue le prolongement de la réflexion entamée dans le premier tome, à savoir l'évolution, avec l'avènement du numérique, du rôle des douanes dans leur mission de protection des frontières. Avec, cette fois-ci, l'approfondissement de l'analyse au-delà des considérations opérationnelles. Objectif: Soulever les contraintes qui peuvent aujourd'hui peser sur le mandat des douanes, particulièrement sur le plan juridique. En effet, la voie du progrès se fera incontestablement par le numérique. Inéluctable état de fait de notre époque. Il permettra de contribuer à une meilleure gestion des flux transfrontaliers en facilitant les opérations douanières d'import/export. Mais c'est également un formidable vecteur qui donne une toute autre dimension à la criminalité économique. La question qui se pose dès lors est donc de gérer cet équilibre en tirant les avantages que les nouvelles technologies procurent. Cela tout en établissant les pare-feu nécessaires pour contrer toute acte de fraude ou encore de malveillance. Je parle là, plus particulièrement, de pare-feu juridiques: de nouvelles normes doivent, de par le monde, s'établir pour définir un cadre capable d'appréhender les transactions électroniques qui matérialisent les flux transfrontaliers. Qu'il s'agisse de téléchargements au contenu illicite ou encore de biens physiques dont l'échange aura été rendu possible via le net. Il y aurait alors tout lieu de craindre que les fraudeurs ne puissent s'emparer du cyberespace pour donner libre cours à tous types de trafics illicites. Vous savez qu'il est parfaitement possible d'échanger virtuellement un produit, sans qu'il ne soit besoin de franchir une frontière physique. Tout comme il est d'ailleurs possible, pour toute personne, d'accéder à des marchés virtuels sur le « darknet » (armes, stupéfiants, contrefaçon, etc) pour négocier des transactions illégales dont la prospection, tout comme la conclusion sont, en toute impunité, facilitées. Des transactions qui peuvent non seulement porter atteinte aux intérêts financiers des Etats, aux porteurs de droits mais surtout constituer une menace pour leur sécurité intérieure. Si je dois utiliser une métaphore, il est fondamental d'ériger une muraille numérique qui à la fois protège par le droit et libère par la technologie. 2. Le thème de la JID-2021 est: « Relance, Renouveau, Résilience: La douane au service d'une chaîne logistique durable ». Vous décrivez le numérique comme un facteur de compétitivité, et donc de facilitation des échanges. Comment inscrivez-vous le rôle des douanes dans la relance post-Covid ? Aux trois « R », Relance, Renouveau et Résilience, j'ajouterai un 4ème, celui de la Réforme. Celle des textes douaniers de par le monde qui doivent accompagner l'accélération exponentielle des échanges, la prolifération de la cybermenace et les biais d'utilisation que pourrait entraîner l'utilisation du numérique. Mais avant cela, permettez que je revienne sur le rôle du numérique comme facteur de compétitivité, de croissance et donc de relance. La réflexion que je développe dans ce second tome met en évidence la valeur ajoutée du numérique dans la facilitation des échanges et, partant, dans leur développement. Une approche qui, aujourd'hui, est mise en perspective avec la particularité d'un monde frappé par les conséquences de la pandémie du nouveau coronavirus (Covid-19). Un monde à la recherche des voies et des moyens de sa relance économique. Or, cette reprise passe nécessairement par la redynamisation des échanges commerciaux ralentis par l'effet des mesures restrictives visant à endiguer la propagation du virus. Le commerce extérieur étant donc un des moteurs de cette relance, les douanes ont donc un rôle indéniable à jouer. La question qui se pose est celle du comment ? Ma réponse est triple: simplifier, numériser pour fluidifier les échanges. Le tout avec un contrôle davantage efficace et efficient pour lutter contre toutes les formes de criminalité économique. Il faut dire que le Covid-19 a mis en évidence l'importance de simplifier encore plus les procédures douanières. Cela, je le rappelle, est l'objectif affiché de la Convention de Kyoto. La généralisation du dédouanement électronique couplée à une fine appréhension des risques, conciliant contrôle et facilitation, permettra de fluidifier avec sécurité les transactions. Nul besoin de redire que plus de facilitations procédurales, c'est autant une réduction de temps mais également de limitation des déplacements et des contacts physiques entre intervenants de la chaîne logistique, à un moment où le virus ne s'embarrasse d'aucune frontière. Conclusion: simplifier par le numérique, c'est distancier. Et c'est donc concrètement protéger la santé des usagers et des voyageurs, des personnels douaniers, des transporteurs, des transitaires, des importateurs ou encore des exportateurs et leurs commis. Réformer les codes douaniers et accélérer la mise en œuvre des conventions internationales sont des mesures clés. Si elles sont entreprises de manière rapide et concertée à l'échelle internationale. Cela contribuera à préserver la croissance et à accélérer la relance de l'économie mondiale. Vous le voyez, les douanes ont un rôle majeur dans cette dynamique ! 3. Avec une quarantaine d'années d'expérience dans des fonctions stratégiques au sein de la douane, quel regard portez-vous sur l'avenir ? L'avenir est fait d'équations complexes à résoudre. Celle, par exemple, de concilier la fluidité à l'impératif de contrôle des échanges à l'exponentielle croissance. Ce que je peux vous dire, c'est que l'intelligence artificielle, le Big data ou encore la reconnaissance d'image -pour ne citer que celles-ci- permettront d'y répondre. Mais ce qui est sûr, c'est que rien ne pourra remplacer le légendaire flair douanier.