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Traduction d'un traité sur l'art culinaire andalou : «Les délices de la table et les meilleurs genres de mets»
Publié dans Albayane le 03 - 08 - 2011

A partir de la présente édition, nous allons publier la traduction du livre arabe de l'écrivain andalous Ibn Razin Al Tujibi (de Murcie) datant du XIIIè siècle. Le texte, dont le manuscrit n'a été découvert à Tétouan qu'au XIX siècle, traite de l'art culinaire andalou et est intitulé «Saveurs et parfums de
l'Occident musulman : Les délices de la table et les meilleurs genres de mets». Grâce à un excellent travail effectué par le professeur Mohamed Mezzine, président de la commission culturelle de l'Association Fès-Saïs, et Leïla Benkirane, professeur à la Faculté des sciences et techniques Saïs, ce traité culinaire marque les rapports de l'Andalousie musulmane avec le Maroc et fait partager, aujourd'hui, un riche contenu de mets et de recettes aux populations des deux rives et au-delà.
Préface
Après la publication de l'ouvrage sur Les Fontaines de la ville de Fès. l'Association Fès-Saïs parraine la publication en Français d'un traité culinaire andalous datant du XIIlème siècle. En lui-même, ce travail constitue la confirmation renouvelée de l'effort de la Commission Culturelle de concrétiser, par l'écrit, l'attachement de l'Association à la sauvegarde de notre patrimoine culturel et, surtout, à sa diffusion par-delà nos frontières, dans sa splendeur multiforme et inter-culturelle.
Conjointement entreprise par le professeur Mohamed Mezzine, Président de la Commission Culturelle, et Madame Leïla Benkirane, Professeur à la Faculté des Sciences et de Techniques Saïs, cette traduction du traité de Tujibi vise ainsi à faire (re-) connaître nos traditions par un public, autre que celui qui leur est culturellement acquis, et de par là à renforcer les échanges (au moins) entre les deux rives de la Méditerranée. Cette publication représente dès lors une autre tentative de sauvegarde du patrimoine culturel d'al Andalus et du Maghreb au temps des dynasties Almohade et Mérinide. Elle vient également rappeler, si besoin est, que la ville de Fès qui n'a jamais cessé d'être le creuset où se sont entremêlées dans un enrichissement réciproque différentes traditions, cultures et confessions, continue à prôner la récupération des valeurs de coopération et de coexistence afin de les mettre au service du rapprochement des peuples, dans un monde plus solidaire et plus humain.
Présentation
Ce livre est une traduction du texte arabe «Fudalat al-Khiwan Fi Tayibat at-Tàam» de l'écrivain andalous (de Murcie) Ibn Razin at-Tujibi, qui a vécu au xmè siècle. C'est un livre qui a été écrit entre 1238 et 1266, probablement pour une cour royale andalouse; le texte avait été découvert, sous sa forme manuscrite au Maroc (à Tétouan au XIXè siècle).
Ce qui nous fait penser que le texte était connu au Maroc, à Fès, au temps des Mérinides (xmè - xvè siècles). Surtout que les vas et vient entre les deux adwa (rives) de la Méditerranée étaient fréquents. L'Andalousie musulmane et le Maroc, sous les dynasties Almoravide, Almohade, puis Mérinide avaient souvent fait partie d'un même empire ou au moins d'un même pôle d'Un monde islamique: l'Occident Musulman.
Les recettes et les mets que le livre propose sont d'une grande actualité. Des ingrédients, des préparations de mille et un genres sont proposés. Certes les quantités ne sont pas précisées,' l'idée de fiches techniques n'ayant pas encore franchi les portes des «dwiriya» (cuisines) d'antant. Mais en suivant simplement le déroulement de la préparation tel que Tujibi nous le propose il est facile de réaliser des merveilles, surtout lorsqu'on dispose de la mesure 1 gestuelle (tnifha, ... ) et du sens des parfums et des saveurs.
Certaines recettes ont peut-être disparu aujourd'hui, mais pour la plupart les traces des mets décrits par Tujibi continuent encore. de constituer les bases des plats cuisinés surtout à Fès qui a hérité, à côté d'autres villes marocaines, les traditions de l'Andalousie musulmane. Presque tous les ingrédients proposés existent encore aujourd'hui, parfois rares, sur les marchés aux épices de Fés. Même si la traduction, donc la reconnaissance, de toutes les saveurs que Tujibi propose n'est pas souvent très aisée. Ses tournures traditionnelles de phrases non plus ne facilitent pas l'approche surtout dans son introduction et même son titre très recherché que nous avons beaucoup hésité à traduire ainsi: le «fudalat» signifiant «le mieux», le «meilleur»; «al-Khiwan» la table dans son sens métaphorique (l'ouvrage représentant le plat qu'on présente); et le reste du titre étant plus explicite: al- Taàm, la nourriture ou les mets, al-Alwan, les genres. Ce qui nous amène à ce titre recherché mais proche de l'objectif de l'auteur : «Les délices de la table et les meilleurs genres de mets».
L'objectif de cette publication est, au-delà de la sauvegarde d'un patrimoine cher à tous les marocains, de mettre notre culture à la portée de ceux qui ne lisent pas la langue arabe, contribuant ainsi à un échange, combien utile, entre les deux rives de la Méditerranée, dans le cadre d'une interculturalité d'avenir.
Introduction
Le «Fudalat al-Khiwan fi Tayibat at-Tàam waal Alwan» (les délices de la Table et les meilleurs genres de mets) est un traité de gastronomie médiévale de l'Occident musulman.
Son auteur porte le nom de Abu Ali ibn al-Hassan ibn Razin Tujibi. Le livre présente au-delà des recettes culinaires, des ingrédients alimentaires, un genre de vie, une quotidienneté dans un monde méditerranéen traversé d'Est en Ouest et du Nord au Sud par des allers et retours, des flux et reflux de populations véhiculant savoir, culture et traditions. Le livre semble avoir été rédigé entre 636H/1238 et 664H/1266. C'est-à-dire entre la date de la perte de Valence, reconquise par les Chrétiens et celle de la prise de Murcie à l'époque de Jacques 1er.
Ce XIIIè siècle est en fait le début d'une période longue de près de quatre siècles (jusqu'au XVIIè) qui allait dégager les principaux traits de la gastronomie méditerranéenne», surtout avec l'arrivée de la culture culinaire turque en Méditerranée après les saveurs arabes, et leur adoption d'éléments fondamentaux de l'art culinaire persan puis indien. Déjà à l'époque (au XIIIè siècle), on considérait que les épices et leur connaissance étaient la base de l'art culinaire. Les épices, souvent symbole de rareté d'une part mais symbole de richesse parce que précieux, constituaient l'objet d'un commerce stratégique entre la Méditerranée et l'Orient, la base de la cuisine réussie et riche, les épices garantissaient l'équilibre d'un plat, donnaient aux mets leur saveur et étaient même «source de bienfaits puisqu'elles préservent des maux» (Manuel de cuisine andalouse du XIIIè siècle traduit par Huici).
Le livre de Tujibi qui date donc justement du XIIIè siècle confirme cette orientation à travers les différentes recettes qu'ils nous propose et surtout les nombreux ingrédients et épices qu'il utilise. Certes, comme nous le montre M. Rodinson dans son étude «Recherches sur les documents arabes relatifs à la cuisine» (in Revue des Etudes Islamiques - 1949 pp. 95 - 165), les livres de cuisine arabes ne sont pas rares. Bien au contraire, même si, pour la plupart ils sont encore sous forme manuscrite déposés dans des fonds d'archives, à Berlin, à Madrid (Escurial) ou à Rabat (Archives de la Bibliothèque Générale) et malheureusement inconnus du grand public et même souvent des intellectuels .
Sans vouloir citer tous les ouvrages de l'art culinaire arabe que M. Benchekroun a retenu dans l'introduction. au texte arabe qu'il a publié de la «Fudalat al-Khiwan» en 1984 (Deuxième édition), il serait utile de souligner ici qu'au XIIIè siècle, à l'époque de Tujibi plusieurs livres ont vu le jour. Comme le Kitàb at-Tabikh de Chams ed-Eddin Mohamed Ibn al-Hassan al-Baghdadi (décédé en 637 HI 1239) qui a été publié par Daoud Galbien 1933, en 88 pages et traduit en Anglais par AJ. Arbery sous le titre «A Baghdad Cookery-Book, in Islamic culture XIIIè» en 1939.
Ce livre représente la version orientale de la gastronomie arabo-musulmane alors que le Fudalatal-Khiwan semble être sa réplique occidentale. «Les orientaux ont beaucoup écrit de ce genre, de ce qui ne plait pas à l'oreille et qui rébute et dégoute l'individu «selon Tujibi. Certes à la même époque un autre texte de cuisine maroco-andalouse circulait dans les cours mérinides (à Fès) et d'Andalousie: Grenade, Alméria, Cor¬doue ... Ce texte dont l'auteur reste anonyme a: été publié par H. Miranda dans la Revue de l'Institut des Etudes Islamiques à Madrid (1961-1962). Les informations qu'il propose sur les mets et les boissons de l'époque complètent celles proposées par le «Fudalat al-Khiwan».
L'auteur du «Fudalat» est probablement un lettré (un faqih) de la cour des princes andalous. Il évoque Murcie «mon pays». Son style, d'abord classique en introduction recherchant les belles expressions, les envolées lyriques chères à ses contemporains semble se débrider tout au long des chapitres techniques rapprochant plus de la, réalité, décrivant avec force détails les menus, les ingrédients, les ustensiles, les traditions.
Et comme la cuisine était souvent synonyme de santé, l'auteur s'aventure de temps en temps dans le champ des guérisseurs «Des conseils sont prodigués par-ci par-là, mais il revient rapidement à ses recettes de cuisine.
Le plan général de son livre est clair, bien ordonné. Douze parties composent le «Fudalat al-Khiwan». Chaque partie comprend des chapitres. Leur nombre est différent selon les parties. Certains chapitres dont le nom est cité en introduction ne sont pas traités par l'auteur ou ont été égarés. Les copies manuscrites connues sont :
- Celle de Berlin qui porte le titre «Fudalat-al-Khiwan fi Tayibat at-Tàam wa al-Alwan». Le manuscrit (en 78 feuillets) se trouve à la Bibliothèque de Tobengen en Allemagne sous le n° 5473. Son écriture est orientale. Elle ne comprend que les quatre premières parties (jusqu'au chapitre trois).
- Celle de l'Académie Royale de Madrid «Fudalat al-Ikhwan fi Tayibat al-Alwan» (134 feuillets). Son écriture est «marocaine». Le Manuscrit «avait été acheté à Tétouan en 1850 à 25 Mitqal» à un marocain.
- Celle privée, évoquée par M. Benchekroun qui est un ensemble de feuillets, avec une écriture marocaine. Les trois copies se complètent pour certains chapitres, mais ne permettent pas de retrouver tout le texte de Tujibi.
Certaines parties sont très développées, d'autres le sont beaucoup moins. Comme si l'auteur n'a pas pu trouver tous les éléments pour écrire les chapitres ou les parties envisagées.
Malgré tout, le livre propose plus de 414 recettes. Certaines sont très simples, d'autres beaucoup plus compliquées et nécessitent des temps de préparations et de cuissons bien longs, comme «Tàam al Muluk» (la nourriture des Rois). M. Benchekroun, dans son introduction au texte arabe propose quelques exemples des nourritures marocaines préparées en Andalousie avec les différents ingrédients utilisés.


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