Au centre du quartier Agdal à Rabat, tout prés de la galerie Kaïs se regroupent quotidiennement des femmes de ménages de tous âges, offrant leur force de travail. Très tôt le matin, elles regagnent le marché proposant leur service à une clientèle qui leur fait appel une ou plusieurs fois par semaine pour s'occuper des travaux d'entretien et toutes sortes de corvées domestiques. Exposée à longueur de journée aux regards équivoques des passants, les habituées du moukef attendent dans l'espoir de garantir le revenu de la journée. C'est une activité, difficile de la qualifier de métier, qui se pratique au jour le jour. Il n'y a point d'acquis. Bien évidement ce sont des femmes qui ne bénéficient d'aucune forme de protection sociale, encore moins d'un cadre organisé. C'est la loi dure du marché qui gère leur relation à la clientèle. Il est 11h, huit femmes sont encore sur place assises sur le trottoir l'une à côté de l'autre, comme pour se protéger mutuellement, l'air épuisées papotant à voix basse de tout et de rien, dans une attente interminable de clients providentiels. Fatiha, 45 ans divorcée et mère de deux enfants vient au marché depuis cinq ans pour chercher du travail : « les jours fastes je peux gagner jusqu'à 200 ou 250 dhs d'autres jours pas un sous, quelques fois je ne travaille pas une à deux semaines de suite ». C'est dire le caractère erratique et incertain de cette activité. La seule chose qu'elles savent faire. La majorité de ces femmes sont analphabètes, leurs conjoints sont inactifs ou travaillent de façon occasionnelle. Divorcées, abandonnées par leurs maris ou même veuves, leurs chances de trouver des emplois stables sont minces. Sans statut ni couverture sociale, la plupart vivent totalement marginalisées dans des conditions lamentables comme cette femme de 32 ans qui refuse de donner son nom, dans un sursaut d'orgueil, elle parle sur un ton triste. Elle loge avec toute sa famille dans une petite pièce qu'elle loue très chère et ajoute « quand je travaille j'essaye d'épargner pour les jours où je n'en trouverai pas ». Plus loin, une jeune femme appelée Bouchra semble plus chanceuse sur ce plan. « Quand je tombe malade je peux compter sur mes frères et sœurs. Une fois j'ai eu une fracture qui m'a empêché de travailler pendant trois mois, c'est grâce à mon frère que j'ai pu survivre moi et mon fils »exulte-t-elle. Tout près de moi, Khaddouj la cinquantenaire se lamente sur son sort : « Les clients me disent tu es trop vieille on ne t'embauchera pas !» me dit- elle et explique avec résignation. Voilà maintenant plusieurs semaines qu'elle n'a pas travaillé même si elle vient régulièrement au moukef « chacune de mes amies m'aide comme elle peut pour que je puisse apaiser ma faim…» Halima a travaillé dans de nombreuses maisons à Rabat et reconnaît que chaque employeur est différent mais que la plupart d'entre eux maltraitent leur personnel. Elle confirme avoir subi toute sorte d'humiliations parfois même des harcèlements sexuels « moi je ne pourrais jamais faire entrer de l'argent sale chez moi ! » et poursuit que certaines, malheureusement, glissent sur la mauvaise pente. Malgré ces traitements, jugés inhumains, et ce manque de considération, ces femmes courageuses pleines d'espoir ont appris à défier toutes difficultés et continuent à travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles. Elles sont condamnées à subir ce sort à défaut de mieux. Il est certain que la société civile bouge pour décrier la situation d'exploitation de ces femmes exposées à l'arbitraire et à l'incertain. A côté du moukef, il y a ces agences privées de placement de bonnes. Mais la situation des travailleuses n'est pas plus reluisante. Ces structures privées qui se rémunèrent sur leur intermédiation chez le client, imposent une dime à ces travailleuses esclaves du 21ème siècle. Elles restent cependant de véritables combattantes prêtes à repartir chaque matin.