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Entretien avec M. Aboulkacem El Khatir, chercheur anthropologue à l'IRCAM : «Le nationalisme ne se saisit pas de toutes les cultures préexistant à son émergence»
Publié dans Albayane le 23 - 01 - 2011

M. Aboulkacem El Khatir, dit Afoualy, est né à Tamoult en Anti-Atlas en 1969. Il est titulaire d'un doctorat en anthropologie à l'Ecole des Hautes Etudes Sociales à Paris. Ses centres d'intérêt focalisent sur les modalités opératoires des mouvements de construction identitaire, les transformations sociales et les pratiques culturelles ainsi que les pratiques scripturaires en milieu amazigh. Il est également poète et créateur. A son actif, un roman et deux recueils de poésie amazighe.
Vous êtes poète et anthropologue, comment arrivez-vous à concilier les deux activités qui conjuguent subjectivité et objectivité ?
Aboulkacem El Khatir: S'il est vrai que la création littéraire a besoin d'un espace de liberté et de disponibilité qui présente nécessairement des dissemblances avec le caractère sédentaire, rigoureux et objectif de la recherche, il est aussi vrai que, parmi toutes les formes littéraires, l'écriture poétique pose moins de problèmes, étant d'une nature différente. Son mode de création en fait une passion fugace et instantanée et peut ainsi se combiner aisément avec des situations de vie aussi différentes que contradictoires. Elle est malléable et gérable et demande moins d'investissement que les autres formes d'écriture. Elle n'attend pas de rendez-vous et de convocation sollicitée ou contrariée. Elle s'invite d'elle-même. Elle se réalise quand elle arrive sans frapper à la porte et sans attendre une autorisation. La poésie s'écrit partout. J'ai écrit mes poèmes dans les cafés et les bistrots, dans les réunions, dans l'avion et dans l'épicerie parisienne, je l'ai écrite là où elle s'invite. Elle n'est pas en un sens une activité encombrante comme d'autres actions purement techniques et fatigantes qui occupent l'esprit et les mains. Elle est donc « conjugable » au pluriel et avec d'autres formes de travail ou de création. En un mot, elle ne gêne en rien les actions de recherche. Il en est de même de l'écriture romanesque qui bien qu'elle nécessite un investissement et une disponibilité, elle peut se constituer en activité parallèle, en lieu de réflexion et d'écriture libre sur des objets que les enquêtes nous poussent à découvrir, à titiller mais sans avoir du temps ni d'occasion de les développer dans une recherche scientifique. L'écriture romanesque offre ainsi cette opportunité de les présenter autrement, sans obéir à une aucune démarche ou modèle théorique contraignant et dans un style nuancé et imaginaire mais pas tout à fait en contraste avec les réalités objectives. Parce qu'elles s'accomplissent dans une passion, elles s'intègrent d'elles mêmes dans la cadence de la vie quotidienne.
Parmi vos préoccupations majeures, on trouve l'histoire du manuscrit amazighe, qu'est ce qui a motivé votre intérêt pour ce type de document ?
Prendre les pratiques scripturaires pour objet de recherche se situe à deux moments de mon parcours personnel: 1) la rencontre avec Ali Amahan qui m'a proposé de travailler ensemble sur l'édition et l'étude de l'œuvre de Brahim Ou Ali Aznag, un auteur de la dernière moitié du XVIe siècle auquel il a déjà consacré un article, et 2) les résultats de mes études sur le nationalisme dans une perspective anthropologique. En fait, l'étude du nationalisme dans ce cadre de recherche implique une appréhension des conditions particulières qui favorisent la réussite politique d'une culture donnée. Le nationalisme ne s'y présente pas comme le réveil d'une nation à la conscience historique, il se définit comme la conséquence d'une forme d'organisation sociale fondée sur des «hautes» cultures déterminées et dépendantes des Etats. La culture élue et intégrée dans un processus nationaliste ne possède pas de propriétés intrinsèques qui font d'elle ce qu'elle est devenue ou ce qu'elle deviendra après la réussite politique d'un mouvement nationaliste, ce sont les contingences historiques qui déterminent son choix et sa destinée future. Elle bénéficie de la couverture d'un Etat qui forme son « toit politique » et prend en charge son organisation et la mise en place des institutions nécessaires à sa promotion et à sa diffusion auprès des populations d'un territoire déterminé. Le nationalisme est ainsi un nouveau principe de légitimité politique qui provoque un changement dans la place et la fonction de la culture dans la société.
Par ailleurs, le nationalisme ne se saisit pas de toutes les cultures préexistant à son émergence. Toutes les cultures ne sont pas appelées à bénéficier de la couverture politique, elles ne réussissent pas à se doter de leur ‘‘toit'' et se transformer, par la suite, en cultures nationales et dominantes. Et puisque comme je viens de le dire la réussite ne procède pas des traits propres à la culture, l'une des premières tâches est de restituer le contexte historique, de comprendre les contingences qui font d'une culture la future norme nationale. Tout naturellement, l'enquête sur les conditions de possibilité du nationalisme au Maroc et sur les propriétés intrinsèques à l'élite prédisposée à être nationaliste et faire de sa propre culture ou de celle qu'elle se représente comme la sienne la culture nationale et légitime de la nation m'a poussé à étudier le champ culturel marocain d'avant le nationalisme, et c'est en étudiant le champ rural et essentiellement en milieu amazighe que je suis amené à relever le rôle et l'importance de l'écriture.
Au-delà de la diversité des champs d'études (histoire des pratiques scripturaires, institutions du maintien et de diffusion, formes, fonctions et usages politiques et sociaux...) que la découverte de cette forme de pratique culturelle soulève, l'interrogation sur l'histoire des pratiques scripturaires implique la reconsidération de tout un ensemble des idées reçues et construites sur la culture amazighe. Est-elle nécessairement une culture orale ? Et pourquoi est-elle considérée ainsi ? Et quels sont les effets de cette représentation sur la constitution de la culture amazighe en objet de recherche scientifique ?
Elle soulève par exemple une contradiction fondamentale qui consiste en la présence réelle de l'écriture dans le champ des pratiques culturelle (la prolifération des documents écrits dans le Haut et l'Anti-Atlas, les réseaux des écoles coraniques et des universités rurales lmdrst comme lieu d'apprentissage et de diffusion de l'écrit, les fonctions sociales de l'écriture dans les pratiques juridiques et politiques) et la prédominance du discours dans le champ scientifique de l'idée trompeuse de la stricte oralité de la culture amazighe. Il est vrai que, dès les débuts de l'intérêt des observateurs occidentaux (Américains et Européens), tout un effort a été déployé pour la découverte, l'édition , la présentation et l'analyse des écritures en amazighe, depuis Venture de Paradis jusqu'à Henri Basset, mais le contexte de l'époque et les références orientalistes et philologiques des principaux chercheurs qui se sont intéressés à ces pratiques ont fini par constituer les écritures en amazighe en genre mineur sans aucune valeur, ce qui a déterminé par la suite leur mise à l'écart dans le champ scientifique en formation après l'établissement du Protectorat au Maroc. Le lieu ne permet pas de détailler toutes les péripéties de cette étape fondamentale dans l'histoire de la constitution des études amazighes, il est toutefois important de souligner rapidement que la délégitimation des pratiques scripturaires, considérées comme des désapprentissages des lettrés rustiques et une imitation inachevé du modèle arabe construit comme plein et immuable par la tradition orientaliste, avait instauré un autre regard sur cette production, aboutissant à sa mise à l'écart dans les programmes de recherches. La position d'un Henri Basset est très éclairante dans ce domaine. Il suffit de lire son Essai sur la littérature des Berbères pour comprendre l'affirmation de cette idée. De manière très récente, les militants culturels ont souvent ignoré cette mémoire écrite dans la revalorisation culturelle de l'identité amazighe. Ils mettent plus l'accent sur la collecte des productions orales effectuée durant la période coloniale que sur l'enracinement d'une tradition écrite dans l'histoire des pratiques culturelles dans les sociétés amazighes.
C'est vouloir faire connaitre ces formes de pratiques, leurs histoires et leurs fonctions dans la société et situer dans la genèse du champ scientifique quand, comment et pourquoi cette idée de l'oralité s'est imposée qui a déterminé le choix, dans mes préoccupations actuelles, de cet objet de recherche.
Quels sont le poids et l'impact de ce type d'écriture sur la société amazighe ?
Il est difficile actuellement d'analyser les degrés de l'impact et de l'influence de l'écriture sur les structures des sociétés amazighes parce que ces dernières ont changé et les fonctions que l'écriture y a occupées ont perdu de leur efficacité sociale. Mais pour se représenter un peu la place de l'écriture dans l'organisation sociale traditionnelle, nous pouvons rappeler rapidement son rôle capital dans le système juridique et dans les mobilisations politico-religieuses.
Parlons tout d'abord de l'écrit notarial, cette notion regroupe des formes plurielles de pratiques scripturaires écrites dans une langue mi-arabe mi-amazighe, une langue de l'entre-deux. Une langue spéciale et de spécialistes. Il se compose d'actes notariaux, de la consignation des délibérations judiciaires d'assemblées locales (chartes collectives, tarifications pénales…) et de codifications de greniers par les ayant-droit, qui sont plus des règlements internes que des codifications communales. Ces documents sont très nombreux dans certaines régions de l'Anti-Atlas et du Haut-Atlas et chaque famille en possède des dizaines, voire des centaines, c'est qui fait dire à Jacques Berque, qui est l'un des premiers à avoir utilisé ces documents dans son étude sur Isksawn – qu'il désigne d'ailleurs par Seksaoua parce que la découverte s'est faite sur un papier grossier de l'écrit notarial avant les enquêtes du terrain-, que les tribus du Haut-Atlas sont des sociétés à archives soigneusement conservées, des sociétés à mémoire écrite. Outre le fait que ces documents offrent des informations importantes sur les groupes et leurs pratiques juridiques – ils renseignent particulièrement sur la façon avec laquelle se saisit le droit positif tribal de certains termes de la jurisprudence musulmane pour vêtir des institutions locales et sur les fortes tensions entre la possession et le titre qui le légitime en rapport avec la place des parties dans la généalogie du groupe et dans l'orchestration parcellaire du terroir agricole du groupe-, ils jouent un rôle important dans la vie sociale, juridique et politique. Ils constituent des preuves (tidgarin, tifawin) et sont mobilisés comme arguments juridiques d'importance pour prouver un titre ou contester une usurpation. Ils formalisent aussi des accords et des contrats entre groupes alliés pour des intérêts stratégiques ou circonstanciels. C'est pourquoi leur étude ne peut pas être dissociée du contexte de leur production et de leur utilisation comme instruments de preuve et comme témoins mémorisés pour faire valoir des droits et des positions, contester des dépassements et pallier aux défaillances de la mémoire orale.
Quant au deuxième type de pratiques, il consiste en les textes religieux écrits en amazighe. Ces derniers ont joué un rôle important dans les compétitions politico-religieuses. Il est communément désigné dans les milieux de sa production et circulation par un terme de forme atypique, lmazghi. Ce terme est une déformation dans un souci d'adaptation au style particulier de ces écrits du mot amazigh qui veut dire la langue amazighe et, par extension, tout livre ou texte écrit en cette langue. Le développement de cette pratique a engendré l'apparition d'autres termes voisins désignant des fonctions et des statuts, comme amazghi, désignant toute personne qui récite dans les marchés ou dans les réunions privées des textes versifiés en vue de l'éducation religieuse des masses, les wuâad en arabe, et tamazghit, qui signifie l'exhortation, al-waâd en arabe. Ce genre de production se matérialise sous la forme d'un texte, souvent versifié, écrit à l'aide d'un alphabet arabe aménagé, mais n'obéissant à aucune règle orthographique et morphologique.
Qu'en est-il de l'histoire ?
L'histoire du Maroc a enregistré la mobilisation de ces textes dans les actions politiques ou sociale des dynasties et des zaouïas. Prenons comme exemple l'expérience des Almohades pour mesurer le rôle que l'écriture et la mobilisation de l'amazighe ont joué dans l'action d'un mouvement dynastique. Dès la manifestation de son ambition politique, Mohamed Ibn Toumert, le Mahdi ou asafu (flambeau en amazighe mais qui désigne aussi par extension la notion messianique du mahdi) a produit deux textes fondateurs en amazighe, el- Morshida et el-Touhid et a posé leur apprentissage et récitation comme critère de définition et d'identification, comme condition de devenir almohade. L'auteur de Raoudh el-Qirtas nous informe que le Mahdi a annoncé que celui qui ne suivra pas ces maximes ne sera point Almohade. Il sera rangé au côté des infidèles, avec lequel on ne fera pas de prière et on ne mangera pas la chair des animaux tués par ses mains, c'est pour cette raison, nous informe encore l'auteur de ce livre, que le livre du Taouhid s'est répandu chez les Mesmouda, qui le chérirent bientôt à l'égal du Coran. C'est en ce sens que la production lettrée en amazighe trace une frontière doctrinale et politique entre les Almohades et les autres, elle est un marqueur identitaire et mobilisée comme un outil de sélection. Elle sépare les nouveaux porteurs et revendicateurs de la légitimité religieuse et politique des anciens maîtres de l'Occident musulman les Almoravides. Et d'après le même auteur cité par Roger Letourneau, qui a écrit l'histoire de la ville de Fès d'avant le Protectorat, la maîtrise de la langue amazighe s'est instituée comme condition d'accès à la charge de khatib à Fès. Quand on sait que toute décision est une édiction de normes, on peut mesurer l'impact de cette instauration sur la circulation et l'affirmation des élites savantes en tant que catégorie socioprofessionnelle d'importance dans les stratégies de légitimation et du contrôle du champ politico-religieux.


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