La nouvelle année est fortement ponctuée par des mouvements sociaux assez violents de protestations au Maghreb, tout particulièrement en Algérie et en Tunisie. Le Maroc, lui, a déjà eu ses émeutes du pain, en 1981, mais la stabilité reste encore fragile, malgré les avancées du dialogue social mis sur les rails depuis l'avènement de l'alternance démocratique, en 1998. Au Maroc, Etat de droit oblige, les citoyens et la société civile ont instauré la tradition des sit-in de protestation comme forme de revendication pacifique. Au fil des ans, la pratique est devenue coutumière, normale. Parfois, les dérapages ont lieu, de par et d'autre. Mais la règle veut que ces revendications s'inscrivent dans la logique des droits humains et de l'Etat de droit. En Tunisie, tout a commencé à Sidi Bouzid, quand un vendeur ambulant s'est donné la mort en s'immolant le 17 décembre 2010. Deux autres citoyens suivront son « exemple » et se donneront la mort, par pendaison ou immolation et des menaces similaires sont proférées. La contestation et les manifestations de rue se sont, entretemps, étendues à d'autres régions et villes, notamment Sfax (Jbeniana et Regueb), Chebba, etc. Les étudiants constituent le fer de lance de ces manifestations désorganisées et apparemment sans revendications précises. Bien des lycées et collèges sont en grève. Des citoyens de conditions modestes se joignent à ces mouvements. Les avocats entrent en jeu pour défendre la liberté d'expression et butent à l'usage disproportionné de la force policière. Un climat malsain s'instaure et, malgré les assurances du gouvernement et quelques mesures prises pour améliorer le social, la Tunisie ne semble pas sortir de l'auberge. Les analystes estiment qu'à défaut d'une gestion globale de la question sociale et, surtout, le phénomène de corruption, d'injustices dues à des abus policiers et des problèmes du chômage –en fait des maux communs aux pays du Maghreb- les rapports resteront très tendus. Et, tout retard dans la régulation de la question sociale, affirment-ils, conduira à des accumulations et des conséquences imprévisibles. En Algérie, si la contestation n'a pas pris l'allure du dramatisme tunisien, les émeutes ont gagné plusieurs wilayas. En plus de la capitale Alger, théâtre d'affrontements violents entre les jeunes et les services anti-émeute, les protestations se sont étendues à la Kabylie (Bejaïa) et à Constantine et Annaba, en passant par au moins trois autres départements. En Algérie aussi, comme en Tunisie, la lame de fond de ce ras-le-bol est incontestablement un malaise social auquel les pouvoirs publics ne semblent pas donner l'importance requise, selon les observateurs. Et si, à Tunis l'on évoque « la manipulation politique », à Alger c'est le black out officiel et seuls quelques titres de la presse font état de la grogne de la rue. Cependant, il faudra relever que les images ne sont pas censurées et bien des télévisions étrangères assurent une couverture de ces événements à partir du territoire algérien contrairement à la Tunisie qui a tout verrouillé. Jets de pierres contre les policiers, coupure de routes avec des pneus en feu, incendie de propriétés privées, dont deux garages Renault, saccage d'abris du tramway en construction… Autant d'actions anarchiques qui deviennent quotidiennes dans bien des villes et localités algériennes. Mais si Tunis, un petit pays sans grandes ressources naturelles, peine à réduire les disparités sociales, il est, cependant, paradoxal, estiment des analystes, que l'Algérie, avec ses hydrocarbures et gaz, n'arrive pas à garantir une vie décente à ses citoyens et à réduire les inégalités sociales. Aujourd'hui des voix s'élèvent pour dénoncer cet enlisement, à la limite gratuit, dans des pays qui peuvent changer de cap et aller dans le sens du dialogue et de la concertation. Mais cela suppose l'existence d'une capacité d'écoute et d'institutions démocratiques stables, seul rempart contre cette lame de fond.