Maintenant que l'homme par qui le scandale est arrivé est derrière les barreaux, la question sur toutes les lèvres est: que va-t-on faire de lui? Depuis le début des fuites de Wikileaks, arrêter Julian Assange – le patron du site – était devenu la priorité numéro un de beaucoup d'Américains. Le gouvernement bien sûr, mais aussi certains medias et pas mal de politiciens… D'abord il y a l'homme : Julian Assange, 39 ans donc plutôt jeune, blanc (c'est normal de signaler la race de ce côté-ci de l'atlantique), pas mal comme type (il ne laisse pas les femmes indifférentes) intelligent et courageusement téméraire ! Bref, le portrait craché du héros comme l'Amérique les aime et comme Hollywood en fabrique à longueur de pellicule. Sauf que ce héros-là a provoqué la pagaille dans la plus grande machine diplomatique du monde. Et la machine en question est grandement embarrassée ! Des voix se sont élevées dès le début des fuites pour accuser Assange d'être un «terroriste » ! En attendant les preuves improbables de ce genre d'assertion, les préparatifs judiciaires vont bon train pour l'accuser d'espionnage en vertu d'une loi qui remonte à 1917. L'Attorney General - le ministre de la justice des Etats Unis - a confirmé qu'un groupe de procureurs fédéraux sont déjà à pied d'œuvre pour préparer un acte d'accusation en bonne et due forme contre l'éditeur australien. Mais l'un des avocats de Julian Assange a prévenu que ce serait une erreur que de poursuivre son client en vertu de l'Espionage Act. Dans des propos rapportés par la chaine ABC News, Jennifer Robinson indique que «cette loi ne peut être appliquée à M. Assange, qui pourra toujours invoquer la protection du premier amendement vue sa qualité d'éditeur des Wikileaks». Et l'avocate d'ajouter que toute poursuite en vertu de cette loi «serait inconstitutionnelle et mettrait en péril l'ensemble des medias aux Etats Unis» Or, pour beaucoup de décideurs américains, Julian Assange n'est pas un éditeur comme les autres. Ils pensent qu'il ne peut non plus se targuer de la qualité de journaliste. Mais Assange n'a pas que des ennemis. Il a aussi des supporters ; et certains d'entre eux sont de véritables héros de la liberté d'expression, celle-là même que protège jalousement le fameux premier amendement de la constitution américaine. Daniel Ellsberg est de ceux-là. En 1971 – en compagnie d'Anthony Russo, aujourd'hui disparu – il avait remis au New York Times des milliers de documents secrets du Pentagone auxquels tous les deux avaient accès. Cette littérature avait permis de mettre à jour «les mensonges de cinq administrations américaines sur le conflit du Vietnam». Le président Richard Nixon avait alors menacé de poursuivre pour espionnage : le journal, les journalistes et leurs sources. Mais l'affaire allait prendre des proportions plus grandes, car elle a été portée devant la Cour Suprême. Dans un jugement resté célèbre, la plus haute juridiction des Etats Unis avait estimé que «seule une presse libre est à même de révéler honnêtement au public, les mensonges du gouvernement». La liberté d'informer était réaffirmée en dépit des objections des politiciens. D'où l'importance du travail de fourmis qu'accomplissent les procureurs fédéraux. Ils ont la lourde tâche de bétonner – juridiquement s'entend - l'acte d'accusation qu'ils seraient en train de préparer contre le fondateur des Wikileaks. De leur côté, les législateurs américains vont entrer en jeu le jeudi 16 décembre. La commission juridique de la Chambre des représentants organisera une première audition sur la possibilité d'appliquer les lois sur l'espionnage aux fuites orchestrées par le site de Julian Assange. Les débats au Congrès promettent d'être houleux, car tous les honorables députés ne voient pas les fuites d'un mauvais œil. Ainsi, un représentant très républicain du Texas a jeté un pavé dans la marre de ses collègues, en prenant la défense de l'Australien le plus détesté par l'administration de Barack Obama. Dans un discours passionné, Ron Paul a vilipendé « ceux qui appellent à tuer le messager juste parce qu'il a rapporté de mauvaises nouvelles ». Avant de rappeler que Wikileaks a grandement embarrassé le gouvernement, mais qu'à sa connaissance les fuites n'ont causé la mort de personne ! Il a par la suite interpellé son auditoire avec des questions assez croustillantes, du genre : «le peuple ne mérite-t-il pas de connaître la vérité sur les guerres combattues en son nom dans des pays comme l'Iraq, l'Afghanistan, le Pakistan ou le Yémen ? Pourquoi toutes les attaques sont dirigées contre Assange et non pas contre le gouvernement qui a échoué à protéger des renseignements frappés du sceau du secret ? Ne considérions-nous pas comme patriote toute personne qui osait défier le gouvernement lorsque celui-ci était dans le faux ?» Vu d'ailleurs, tout cela parait à la limite du croyable. Mais pour l'immense majorité des Américains, la vraie force de leur pays réside d'abord dans le fait que nul n'est au-dessus de la loi, y compris ceux qui les gouvernent.