Abdeslam Seddiki, professeur d'économie et membre du Comité central du Parti du progrès et du socialisme, estime que le bilan du gouvernement El Fassi, dans ses deux premières années, reste globalement positif, mais que les résultats concrets auraient pu être meilleurs. AL Bayane : Quelle est votre lecture et appréciation de la déclaration-bilan du premier ministre Abbes El Fassi ? A. Seddiki : En lisant la déclaration du Premier ministre devant les deux Chambres du parlement, je me suis fait l'évaluation suivante : D'abord, j'ai ressenti un certain malaise méthodologique pour apprécier la déclaration du gouvernement. Car une telle déclaration faite à mi –chemin, ne peut se faire que par rapport aux objectifs que le gouvernement s'est fixés au lendemain de son investiture. Sur ce point là, on ne peut établir une comparaison parfaite entre un certain nombre d'indicateurs avancés par le premier ministre par rapport aux engagements qu'il avait pris en 2007 et annoncés dans sa déclaration d'investiture. Donc, il n' y a pas de ressemblance aux niveaux des rubriques et des chapitres… Il y a donc un problème de méthode qui me rend mal à l'aise pour faire une discussion positive et sereine de la déclaration gouvernementale, à l'exception de deux ou trois indicateurs. Par exemple, le gouvernement s'est engagé, au moment de son investiture, à réaliser un taux de croissance économique de 6 %. Ce qui a été réalisé est 5, 3 % en 2009 et 5,6 % en 2008. A ce niveau, je peux dire que, grosso modo, cet objectif a été atteint, vu le contexte difficile de crise. En matière du taux de chômage que le gouvernement s'est engagé de réduire à 7 % en 2012 et qu'il me semble difficile d'atteindre un tel taux puisqu' on est aujourd'hui à 9,1%. Dans la déclaration d'investiture, on trouve des intentions et des objectifs non chiffrables, chose qu'on retrouve même dans la déclaration –bilan à mi-chemin. Sur certains aspects, le premier ministre était clair, en avançant des chiffres, sur d'autres, il s'est contenté de faire des annonces. C'est tout à fait normal, on ne peut être précis sur tous les dossiers. Grosso modo, porter une appréciation objective, je crois que ce qui a été réalisé par le gouvernement durant les deux années et demi, est dans l'ensemble satisfaisant. Je peux dire que le bilan est globalement positif en matière de préservation des équilibres fondamentaux, c'est quand même important même si c'est discutable. Le déficit budgétaire est maintenu dans des proportions raisonnables. En matière d'endettement public, le taux est inférieur à 50 % du PIB, c'est raisonnable. Le taux d'inflation est de 1%, c'est discutable et difficilement acceptable. Par contre, la Balance des paiements dégage un déficit inquiétant de moins de 5%, alors qu'auparavant, il était excédentaire du fait, et cela est dû au creusement du déficit commercial qui a battu tous les records. Par ailleurs, toujours en matière de bilan global, il y a eu un effort considérable en matière d'investissements publics, l'enveloppe globale s'étant doublée entre 2007 et 2010 passant de 90 milliards à 163 milliards de DH. Mais ce sont des chiffres déclarés et non pas des chiffres réalisés. Car bon an mal an, les investissements effectivement réalisés ne dépassent pas 70 %. A titre d'exemple, si on inscrit dans la loi de finances 2010, une enveloppe d'investissements publics de 163 milliards de DH, ce qui va être réalisé ne va dépasser 70 %, soit 100 à 110 milliards de DH seulement. Il ya un effort également en matière d'infrastructures, de nombreux programmes font leur chemin de réalisation, dans les domaines d'autoroutes, ports, aéroports, barrages, chemin de fer…De la même manière, il ya eu des efforts en matière de développement du monde rural auquel on a alloué une enveloppe qui a pratiquement été multipliée par 2,5 en passant de 8,3 milliards de DH à 20 milliards. Voilà le côté positif de l'action gouvernementale. En revanche, il y a lieu de dégager un certain nombre de difficultés. Je viens de soulever la question de l'emploi qui, malgré les efforts fournis, on n'est pas arrivé vraiment à changer la cadence de création d'emplois. Cette cadence est restée en deçà des objectifs fixés par le gouvernement. Le taux de chômage dans le domaine urbain demeure élevé, notamment chez les jeunes, je pense qu'on n'a pas fait suffisamment d'efforts. Si cet indicateur baisse dans le milieu urbain de deux points, il faut remarquer que les emplois créés dans le milieu urbain sont précaires et ne sont pas des emplois permanents. Le chômage de jeunes diplômés n'a pas encore trouvé un traitement adéquat qui convient à la gravité de la chose. Ma deuxième remarque concerne les petites et moyennes entreprises, car par la baisse de l'Impôt sur les sociétés, il n'y a pas de mesures spectaculaires au profit des petites et moyennes entreprises. Il en est de même pour les mesures prises dans le cadre de promotion des exportations. La création d'un fonds de soutien aux exportations et auquel on a consacré une enveloppe de 500 millions de DH n'a pas donné des résultats et le déficit commercial continue de se creuser, la compétitivité du Maroc sur le marché international stagne, voire régresse. En matière sociale, qui ne peut être séparée de l'économique, le gouvernement n'a pas fait assez d'efforts pour généraliser le RAMED (Régime d'assistance médicale) qui est resté malheureusement au stade expérimental dans la région Tadla- Azilal. De nouveau, le premier ministre annonce que cette expérience va s'élargir à d'autres régions, mais ça fait deux ans qu'on en parle. On ne comprend pas la lenteur de l'action gouvernementale sur ce plan là. Ma troisième remarque est que certains organes de presse reprochent le fait que les actions annoncées par le premier ministre sont le fait du travail de SM le Roi. Moi, je ne pense pas qu'il faut séparer ces actions. Le travail du gouvernement complète celui effectué par le Souverain. Il n ya pas le Roi d'un côté, et le gouvernement de l'autre. Ces actions constituent un tout et le Maroc a besoin de l'action de tout le monde par le bien des citoyens et du pays. Il faut reconnaître que globalement, le Maroc a réussi à résister face à la crise économique mondiale qu'a connue le monde en 2008-2009 et s'en est sorti avec un minimum de casse. C'est un point positif de l'action gouvernementale, grâce à la création de la commission de vigilance et les mesures prises à temps pour juguler les effets de la crise et limiter son impact sur certains secteurs et non pas sur l'ensemble de l'économie marocaine. Le premier ministre a qualifié la politique économique poursuivie d'audacieuse. Partagez-vous ce qualificatif ? Réponse : Je crois plutôt que c'est une politique réaliste. L'audace suppose la prise de mesures chocs ou mesures phares. Ça suppose aussi qu'on prenne des risques, en matière d'endettement et de déficit budgétaire. Le déficit budgétaire de prés de 4 % est très prudent par rapport à de nombreux pays développés qui ont connu 9 ou 10 % de déficit et même plus. On aurait toléré un déficit plus important pour relancer la demande intérieure, puisque la croissance économique est tirée par la demande intérieure de la consommation et l'investissement local et non pas par l'exportation. A votre avis, quelles sont les mesures que le gouvernement n'a pas prises pour faire face à la crise ? Le gouvernement a certainement pris des mesures positives et importantes, mais il ne les annonce pas bien. Il ya un problème de communication. Malgré les efforts entrepris, le gouvernement aurait pu faire encore plus, pour soutenir la demande locale, ne serait-ce que pour réduire les foyers de tension qui s'annoncent à l'horizon….Certains secteurs annoncent des mouvements sociaux dans les prochains jours, cela est mauvais pour l'économie marocaine et porte atteinte à son attractivité vis-à-vis de l'extérieur. Il fallait à mon avis, créer toutes les conditions pour assurer la paix sociale et répondre aux demandes et aux revendications dans le cadre du dialogue social. Malheureusement, le dialogue social trébuche. Tous les éléments doivent être mis sur la table des négociations et si le gouvernement estime qu'il n'est pas possible d'augmenter les salaires, il doit convaincre les syndicats d'adhérer à la politique gouvernementale. Deuxièmement, l'évaluation des politiques publiques et des mesures annoncées ne se fait pas dans le court terme mais après deux ou trois ans. Il faut procéder à une évaluation des politiques publiques à court terme. En matière de gouvernance économique, comment évaluez-vous les mesures prises pour lutter contre la corruption et moraliser la vie publique. Reste-t-il quelque chose à faire à ce sujet ? Les mesures annoncées sont extrêmement positives comme celles concernant la lutte contre le blanchiment d'argent et la lutte contre la corruption et l'amélioration du climat d'affaires…Mais il ya quelque chose qui cloche au Maroc. Nous disposons des plus belles lois du monde, mais sur le terrain, les choses ne suivent pas. Il manque une sorte de cohérence globale. Autant les mesures sont positives, autant elles ne voient pas leur fruit sur le terrain, et cela rend mal à l'aise. Il ne suffit pas d'avoir de très bonnes lois, mais il faut disposer de mécanismes pour leur bonne applicabilité et concrétisation. Et pour en débattre, il faut organiser des assises nationales pour la gouvernance économique et la gouvernance sociale.