L'unanimité des Suisses, des délégués au XIIIe Sommet de la Francophonie, réunis la semaine dernière à Montreux, se fait autour de ce constat simple et clair qui veut que la Confédération helvétique a été la grande bénéficiaire de tout ce qui s'est déroulé sur les bords du Lac Léman. Parti avec l'handicap de devoir prépayer – et réussir ! – très peu de mois avant la mi-novembre 2010, parce qu'ils ont été sollicités de prendre la place de la défaillante Madagascar qui avait été désignée au cours du Sommet 2008 pour accueillir les assises treizièmes, mais qui a dû se désister par suite de sa suspension de l'Organisation Internationale de la Francophonie», en raison de mauvais comportement démocratique avéré. A ce raccourcissement des délais, il fallait relever le défi de la qualité avec celui de la ponctualité du rendez-vous, tout en subissant la coupe sombre du quart du budget alloué au départ à cette manifestation, la partie alémanique surtout jugeant que ces «réjouissances» francophones ne la concernaient en rien. Au final, ce fut une réussite sans faute sur presque tous les plans, du moins sur tous ceux qui avaient été dévolus aux autorités et à l'administration du pays et de la ville hôtes du grand conclave. Tout avait été réglé avec cette minutie, cette précision et ce soin dans le savoir-faire dont on n'a pas besoin ici de souligner qu'ils font la réputation de la Suisse, en Europe et dans le monde. Pour assurer le succès de cette entreprise qui allait être installée pendant deux semaines dans Montreux, ville de villégiature et de vacances de haut standing, célèbre pour son prestigieux festival annuel de jazz, il a été mobilisé quelque huit mille policiers, gendarmes et gardes cantonaux, épaulés par de pacifiques citoyens, - jeunes et moins jeunes – tous bénévoles non rémunérés mais bien efficaces. Des auto-satisfaits n'ont pas alors manqué de fleurir sur les lèvres des dirigeants helvétiques, notamment de la part de madame Doris Leuthard, présidente de la Confédération qui, dans son discours de clôture, a tenu des propos savamment ambigus : «Comme femme membre d'un Exécutif, j'aimerais que les choses aillent vite mais la concertation, la prise en compte des sensibilités en présence impliquent un processus lent ». Il ne fallait pas être fin clerc pour comprendre que c'était là une manière courtoise de condamner les attitudes compassées le plus souvent des animateurs divers de la Francophonie comme des simagrées dans lesquelles se complaisent beaucoup de responsables consacrés de l'O.I.T. Ainsi que nous l'écrivions dans notre correspondance d'hier, il était difficile aux Suisses de ne pas faire allusion aux multiples promesses nées des résolutions, des motions, des projets écrits, mais ils ne se sont pas empêchés de stigmatiser le manque de percées réelles même s'ils considèrent qu'il y a nombre «d'idées à suivre». La même présidente Doris Leuthard, faisant dans la recherche aimable d'un sentiment unanimiste, que ne pourrait récuser personne de sensé dans la galaxie francophone, est allée jusqu'à se fendre d'un doux truisme à la manière des humoristes français du siècle dernier : «il vaut mieux la collaboration des cerveaux que la fuite des cerveaux». Pour muscler et crédibiliser l'action des deux années à venir, avant le quatorzième sommet de 2012, dont l'organisation a été confiée au CongoKinshasa du président Joseph Désiré Kabila, le secrétaire général de la Francophonie, monsieur Abdou Diouf, a annoncé la création d'un Forum à Québec axé autour des diverses facettes de «notre langue». Il ne s'agissait pas, selon ce vœu, d'un colloque de plus, mais d'un Forum vivant et vibrant. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce pourrait être là la toute première fois où la Francophonie institutionnelle s'occuperait d'examiner l'état et la situation du Français en tant que langue spécifique, en tant que phénomène vivant et évolutif. Cela paraît proprement stupéfiant et vainement incroyable, que pendant quarante années, on ait négligé de braquer, ne serait-ce qu'une fois, les instruments d'analyse sur ce qui, au fond, semble être le cœur et la base de toute la planète francophone dans ses divers avatars. C'est peut-être parce que les esprits se focalisaient sur les seuls desseins politiques qu'on aurait oublié ce qui apparaît comme le véritable point générique de tout. Mais attendons de voir ce qui va se passer concrètement et réellement à Québec dans les quelques mois prochains pour nous faire une religion à ce sujet. Pour aussi savoir si, sous l'impulsion de monsieur Abdou Diouf, qui sera alors à mi-troisième mandat, pourra marquer un tournant – nous dirons culturel – du mouvement francophone. Comment se pourra-t-il faire et de quelle manière ? Peut être convierons-nous donc le lecteur à attendre la livraison de la correspondance de demain pour en savoir plus au niveau des conjectures et des spéculations… Pour l'heure, ce sont les autorités de la Francophonie, eux, qui font dans la prévision, c'est leur rôle et leur mission. En attendant. (A suivre)