Le comité de suivi pour la prolongation de l'article 16 du Code de la famille organise, du 23 à 28 septembre, une caravane dans la région d'Azilal pour sensibiliser les habitants à la régularisation des mariages coutumiers. Le mariage coutumier, connu sous le nom du «ôrf» ou mariage par «fatiha», continue de prendre des proportions inquiétantes. Et ce, en dépit de la prolongation de l'article 16 du Code de la famille annoncée en avril dernier lors de la présentation du bilan de six ans de la mise en application du nouveau code de la famille. A l'occasion, le conseil des ministres avait adopté ce projet en mars dernier. Quatre associations sont investies dans cette caravane, la troisième du genre. Il s'agit de l'Association pour l'éducation des droits humains (AEDH), Insat de Beni Mellal, la fondation Ytto et l'Association marocaine des droits des femmes (AMDF). Cette campagne vise trois communes à Azilal (Aït abbas, Aït Mohamed, Zaouiyate Ahensal). «Le choix de cette région n'est pas fortuit. Azilal représente l'un des points noirs où le mariage à la «fatiha» est toujours de rigueur », nous explique Najat Ikhich de la fondation Ytto. L'année dernière, la fondation avait rassemblé 10.000 dossiers de mariage coutumier non régularisés à Azilal. Cette caravane vient en aide aux habitants des régions enclavées avec pour objectif de les sensibiliser sur la nécessité et l'intérêt à régulariser les mariages coutumiers connus par «ôrf» ou le mariage à la «fatiha». Une campagne de communication sur les dispositions du nouveau Code de la famille réformé en 2004 et la sensibilisation sur la prolongation de l'article 16 relatif au mariage «ôrf», s'avère donc nécessaire. En outre, les responsables de cette caravane devront rassembler les dossiers auprès des concernés et les déposer auprès du tribunal pour une régularisation collective. «Le but est d'éviter aux habitants les tracas des déplacements onéreux aux tribunaux », souligne Mme Ikhich, présidente de la fondation Ytto. Cependant, cette opération n'est pas une sinécure. Et pour cause. «Le ministère de la Justice n'a pas jugé utile de prendre part à notre action. Les responsables ont même ignoré nos correspondances. C'est d'autant plus navrant que le travail que nous entreprenons, c'est le ministère qui devra le faire pour faire respecter la loi», regrette la responsable de la fondation. Les chiffres qui parlent Selon les statistiques collectées par le comité de suivi, plusieurs dossiers de régularisation de mariage se sont accumulés dans les tribunaux, avant avril dernier, à travers le royaume. Ce qui témoigne de la persistance de ce phénomène. Ainsi, à Azilal, 10 000 dossiers ont été enregistrés. On en compte 780 à Casablanca, 300 à Berrechid, 400 à El Jadida, 168 à Imilchil. Des chiffres qui témoignent de la persistance de cette pratique ancienne dans notre société en l'absence de campagne de sensibilisation auprès de ces agglomérations fragiles où le taux d'analphabétisme reste élevé. «La persévérance des coutumes ancestrales dans beaucoup de régions du Maroc explique la résistance manifestée à l'égard de la légalisation des mariages », explique notre interlocutrice. La complexité des procédures administratives ainsi que le coût de la régularisation des dossiers constituent également des obstacles majeurs. Si les frais de chaque dossier vont de 160 à 200 DH par cas, les dépenses liées au déplacement du couple et de leurs proches sont des plus importantes. Elles peuvent atteindre les 2000 dirhams (entre transport, loyer et nourriture). Un guichet mobile dans les régions enclavées Selon Mme Ikhich, l'application de la loi en vigueur requiert d'abord de mettre en place un guichet mobile pour approcher l'administration des citoyens particulièrement dans les régions isolées ainsi que l'exonération des frais des dossiers. Surtout que les femmes mariées à la «fatiha» sont généralement privées de leurs droits légaux qu'il s'agisse de la pension alimentaire ou de l'héritage. Le comité de suivi a fait état de 93% de femmes veuves privées de leur héritage. Pour de nombreux observateurs, le mariage non légalisé est un prétexte pour contourner la loi sur la polygamie. Pis : ces pratiques favorisent le mariage des mineurs. A titre d'exemple les filles à Aït Abbes à Azilal se marient à l'âge de 10 ans. Alors qu'à Anfgou à Imilchil, elles se marient entre 7 ans et 8 ans. D'ailleurs, le sixième bilan de l'application du Code de la famille a mis le doigt sur la prolifération disproportionné de ce phénomène (33253 cas en 2009, selon les chiffres présentés par le ministère de la Justice en avril dernier). Les conséquences sur les droits des enfants sont aussi graves. D'autant qu'ils sont privés de leurs droits les plus élémentaires. Les chérubins issus de ce mariage ne sont pas inscrits dans l'état civil et ne peuvent donc prétendre à la scolarisation. La campagne organisée par la fondation Ytto en octobre 2009 fait état de 97% d'enfants non scolarisés faute d'état civil. Certes la prolongation de l'article 16 du Code de la famille est une décision judicieuse qui permettra de battre en brèche le phénomène des mariages non déclarés. Toutefois, si elle n'est pas suivie de campagne de communication et de mesures incitatives, ses effets resteront limités.