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Mohamed Mesbahi : «La science et ses progrès ne s'arrêtent pas même s'ils devaient affronter des résistances»
Publié dans Albayane le 17 - 09 - 2010

Mohamed Mesbahi, professeur universitaire de la philosophie à l'Université Mohammed V, estime que le décès du penseur Mohamed Arkoun est une grande perte pour le monde arabo-musulman. Tout au long de son parcours, il a œuvré pour la dissémination d'idées humanistes, éclairées et modernistes, souligne-t-il. De même, l'intérêt de son œuvre réside dans le fait de prôner un Islam qui est en phase avec la pensée rationnelle, conclut-il.
Al Bayane : Votre réaction au décès du philosophe Mohamed Arkoun ?
M. Mesbahi : Le décès du penseur maghrébin et arabe, Mohamed Arkoun, constitue une grande perte pour les éclairés et les adeptes de la modernité. Sa mort laisse un grand vide difficile à combler. Le défunt nous a légué une bibliothèque complète et variée des écrits, des études et projets intellectuels qui ont contribué à hisser l'islam à un rang honorable, surtout dans un contexte où le fondamentalisme obscurantiste gangrène d'un côté comme de l'autre.
Qu'elle est la place de Mohamed Arkoun dans la pensée islamique moderne ?
Parler de Mohamed Arkoun, c'est évoquer l'un des penseurs des plus profonds dans ses idées et ses aspirations intellectuelles. Du fait de sa résidence à Paris, l'une des capitales de la lumière en occident, il s'est imprégné de cette ambiance pour exercer sa liberté de pensée sans contraintes ou concessions et sans chercher des consensus qui tiennent compte de l'opinion publique ou des rapports de force politiques. Le penseur a amorcé l'écriture avec des sujets neufs, des nouvelles méthodologies et des horizons inaccoutumés dans le monde arabo-musulman.
Mohamed Arkoun raisonnait à partir d'un référentiel intellectuel moderne, celui de la méthodologie européenne. Ce positionnement lui a permis d'avoir un regard libéré sur des questions en rapport avec l'Islam qu'il s'agisse de la raison, de l'éthique, du savoir, des tendances fondamentalistes ou autres. Le professeur Arkoun abordait ces questions avec des concepts nouveaux et des approches rénovées qui ont eu pour conséquence de transformer les études en islamologie et leur préoccupation. C'est pour cela que le penseur a pu occuper une place privilégiée dans la communauté des chercheurs arabes et musulmans et particulièrement dans le milieu des chercheurs et étudiants marocains qui lui réservaient une estime et un respect particuliers. Les penseurs marocains ont réservé au défunt plusieurs articles et thèses de recherche.
Par ailleurs, le professeur Arkoun a toujours refusé d'être classé dans une école de pensée idéologique ou spirituelle. Il a, par contre, toujours milité pour la dissémination d'idées humanistes, éclairées et moderniste. Cette démarche a eu un impact important sur l'évolution des méthodes et voies de recherches tant au niveau du contenu que de la méthodologie au sein du monde arabe et islamique. Il a toujours fait montre d'un grand courage dans la défense de ses idéaux, il n'a jamais craint aucune autorité que ce soit parce qu'il poursuivait l'objectif noble de faire changer le statut de la pensée. Il a particulièrement milité contre la sacralité de l'ignorance et l'analphabétisme intellectuel. Il a tout le temps œuvré pour la prise de conscience des questionnements nouveaux qui sont susceptibles de heurter certaines personnes, certaines convictions et également certaines catégories de penseurs.
Arkoun disait constamment que la science et ses progrès ne s'arrêtent pas même s'il devait affronter des résistances idéologiques, religieuses et intégristes à propos de certains sujets considérés comme tabous pour la recherche.
Quel est son apport à la valorisation de l'Islam à l'échelle universelle ?
Parmi les choses qui méritent l'attention est que le défunt a accordé un intérêt particulier au style de l'écriture sur l'Islam. Il a écrit sur la pensée islamique avec une langue, une logique et une sensibilité occidentales dont le but est de défendre la justesse de la vision du monde d'un point de vue islamique.
Quand il a demandé à ses pairs arabes et musulmans de s'engager dans le sentier de la réforme de la Chariaa et de la foi pour les adapter à l'essence même de la foi et de la modernité, il était, en fait, en train de s'opposer et de critiquer les positions belliqueuses de certains penseurs, notamment français comme Bernard Louise et autres, qui ne voyaient en Islam que le terrorisme, le hijab et l'absence de modernité dans la pensée et le fait d'être l'antithèse de la démocratie.
Feu Arkoun a ardemment essayé de présenter à l'Occident un autre visage de l'Islam : un islam humaniste orienté vers le respect des droits de l'Homme, des traditions et des règles fondamentales de la démocratie.
Arkoun a eu le mérite de présenter l'Islam comme une religion qui se renouvelle par la pensée rationnelle concernant les nouveautés qui affectent la société dans laquelle vivent les hommes.
Le professeur Arkoun avait une dimension d'érudit. Il donnait des conférences en langues française, arabe et anglais aux Etats-Unis, au Japon et dans certains pays arabes particulièrement le Maroc.
Il avait une activité soutenue au niveau des universités et de la société civile. Il fait aussi partie de ces penseurs qui ont pu allier la sérénité académique et l'invitation permanente à la reforme fondée sur la recherche approfondie utilisant des méthodes et des concepts modernes.
Une démarche qui lui a permis de faire avancer ses thèses avec beaucoup d'aisance au sein du monde occidental.
Nous avons perdu, en la personne du professeur Arkoun, un grand défenseur de l'Islam, un Islam qui accepte la réforme, l'évolution et le changement. Il était le défenseur de l'Islam de l'avenir, un islam capable de relever les défis de la concurrence et de la confrontation avec l'autre en usant des outils de la raison, des règles du dialogue et de la concertation sereines.
Le monde arabo-musulman devrait veiller à sauvegarder l'héritage de ce grand penseur et faire en sorte que ses réflexions puissent se poursuivre fidèlement à l'essence de sa pensée.
Tahar Benjelloun : Une grande perte pour le Maghreb
La disparition de l'islamologue algérien Mohamed Arkoun, qui s'est éteint mardi soir à Paris à l'âge de 82 ans, est «une grande perte pour le Maghreb et pour la passion de la vérité», a estimé jeudi l'écrivain marocain Tahar Benjelloun, membre de l'académie Goncourt en France.
«Sa disparition est une souffrance pour nous tous. Il va manquer à tous ceux qui avaient l'habitude de l'écouter quand il expliquait, commentait et argumentait les questions fondamentales de la civilisation musulmane et arabe», a-t-il dit dans une déclaration à la MAP, livrant un témoignage émouvant sur les qualités humaines de ce grand intellectuel qui a oeuvré tout au long de sa vie à défendre l'Islam contre toute tentative de «détournement».
Il a salué en lui l'«ami» mais aussi «un homme de qualité et de science qui avait la capacité de rendre claire et compréhensible les textes les plus complexes» et de «remettre les choses à leur place surtout lorsqu'il y a un détournement de l'Islam».
Le Professeur Arkoun, a-t-il souligné, était «un homme qui avait une très grande connaissance du texte islamique et de l'histoire du monde arabe», avec «une vision d'ensemble qui rendait compréhensible
même aux ennemis de l'islam ce que sont cette religion et cette culture».
«Il avait un esprit intelligent, patient et tolérant.
Il était aussi un homme qui avait le sens de l'amitié et de la fidélité, un ami qui va nous manquer beaucoup», a-t-il dit.
Le défunt, qui avait de très fortes attaches familiales au Maroc, entretenait des liens très étroits avec les intellectuels marocains depuis le début des années 70.
Après avoir quitté sa Kabylie natale (Algérie), feu Arkoun a fait des études supérieures en France et choisi de s'installer définitivement à Paris, depuis plusieurs décennies, où il a embrassé la carrière universitaire.
Professeur émérite d'histoire de la pensée islamique à l'Université de la Sorbonne (Paris III) depuis 1993, Mohamed Arkoun a à son actif plus d'une quinzaine d'ouvrages dont une somme encyclopédique, sous sa direction, sur l'«Histoire de l'islam et des musulmans en France: Du Moyen-Age à nos jours».
Son livre «Humanisme et Islam: Combats et propositions» a été réédité par la maison d'édition marocaine Marsam en 2006.
Mohamed Arkoun, qui a développé la discipline «Islamologie appliquée» dans diverses universités européennes et américaines, a formé et initié plusieurs générations d'étudiants à la civilisation arabo-islamique, notamment en France et au Maroc.
Père Christian Delorme , ami du défunt
Feu Arkoun était très attaché au Maroc
où il pouvait s'exprimer librement
L'islamologue algérien Mohamed Arkoun, décédé mardi à Paris était «très attaché» au Maroc où il pouvait «exprimer librement sa pensée», a déclaré mercredi à la MAP son ami de longue date, le Père Christian Delorme.
«Le professeur Arkoun allait souvent au Maroc car il y trouvait un espace de liberté de parole où l'on tenait compte de ce qu'il disait», a affirmé P. Delorme, qui côtoyait le défunt depuis des années à travers notamment leurs actions respectives au service du rapprochement des religions.
Ils appartenaient tous les deux au Groupe de Recherches islamo-chrétien (Gric), créé dans les années 60 par des intellectuels du Maghreb et des Chrétiens engagés dans le monde musulman.
P. Delorme a mis l'accent sur l'attachement du grand intellectuel que fut Mohamed Arkoun au dialogue entre les civilisations, les cultures et les peuples, en défendant une conception «large» de la religion, sur les deux rives de la Méditerranée où, de par leur histoire, l'Occident et l'Orient «s'entremêlent».
Convaincu que l'on ne peut pas opposer les définitions juive, chrétienne et musulmane de la révélation, il cherchait plutô_t à y «trouver des correspondances», a-t-il dit.
Le professeur Arkoun, qui se distinguait par «une rigueur scientifique», regrettait que «l'Occident n'ait pas pris au sérieux le travail sur le texte coranique», a ajouté le prêtre français.
Outre son engagement en faveur du dialogue interreligieux, particulièrement avec les musulmans, le Père Delorme s'est mobilisé depuis les années 80 pour la défense de la dignité des immigrés en France, surtout la deuxième génération.
Il a été d'ailleurs l'un des initiateurs en 1983 de la Marche pour l'égalité des droits et contre le racisme, plus connus sous le nom «la Marche des Beurs», première manifestation nationale du genre en France.
Cette marche qu'il avait accompagnée de Lyon à Paris, avait dévoilé la ségrégation dont ont été victimes les enfants d'immigrés nés en France.
Le Père Delorme a écrit de nombreux ouvrages sur le dialogue interreligieux dont, en 1998, un livre d'échanges, consacré au dialogue entre musulmans et chrétiens («Nous avons tant de choses à nous dire»), avec l'islamologue marocain Rachid Benzine.
Ce dernier avait, lui aussi, beaucoup travaillé avec Feu Mohamed Arkoun, a fait remarquer le prêtre français.
Bertrand Delanoë, maire de Paris : Perte d'un grand savant
M. Bertrand Delanoë, maire de Paris où le défunt «avait choisi de faire vivre et rayonner sa pensée et son action», a également tenu à rendre hommage à «ce grand savant et un esprit libre» qui a toujours «défendu, expliqué et incarné l'islam des Lumières, contre toutes les intolérances et au-delà de toutes les incompréhensions».
«Ce grand intellectuel, à travers notamment son Histoire de l'Islam et des musulmans de France a également contribué à inscrire la pensée et la pratique musulmanes dans la culture française», a-t-il écrit dans un communiqué. «Inlassable artisan du dialogue entre le christianisme, le judaïsme et l'islam», il a été animé par «la conviction que ce qui rassemble les différentes expressions de la foi monothéiste est infiniment plus puissant, et finalement plus réel, que ce qui les sépare», a-t-il ajouté.
Après avoir quitté sa Kabylie natale (Algérie), feu Arkoun a fait des études supérieures en France et choisi de s'installer définitivement à Paris, depuis plusieurs décennies, où il a embrassé la carrière universitaire.
Professeur émérite d'histoire de la pensée islamique à l'Université de la Sorbonne (Paris III) depuis 1993, Mohamed Arkoun a à son actif plus d'une quinzaine d'ouvrages dont une somme encyclopédique, sous sa direction, sur l'«Histoire de l'islam et des musulmans en France: Du Moyen-Age à nos jours».
Son livre «Humanisme et Islam: Combats et propositions» a été réédité par la maison d'édition marocaine Marsam en 2006.
Mohamed Arkoun, qui a développé la discipline «Islamologie appliquée» dans diverses universités européennes et américaines, a formé et initié plusieurs générations d'étudiants à la civilisation arabo-islamique, notamment en France et au Maroc.


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