Le ramadan est, par excellence, le mois de tous les changements. Certaines activités commerciales connaissent d'un coup une recrudescence particulière durant ce mois sacré due au bouleversement des habitudes alimentaires, vestimentaires et même culturelles. Aussi, ce mois de carême connaît une affluence très singulière des citoyens pour la sorcellerie durant la deuxième moitié du Ramadan. «Foukahas», «chouaffates» et «attaras» connaissent une affluence particulière. Et pour cause, l'engouement des Marocains pour la pratique de la sorcellerie grandit sensiblement pendant la deuxième moitié du Ramadan. Il suffit de faire un tour à souk Jmiâ à Derb Soltan, célèbre pour ses commerçants de mets de sorcellerie pour en faire le constat. Jmiâ connaît durant cette période un charivari spécial. L'activité commerciale chez les « attaras » bat visiblement son plein. « Les gens se préparent pour Leïlat al kadr (La nuit du destin) considérée comme un évènement sacré avec des rites particuliers. Les portes du ciel sont ouvertes et les gens veulent faire exaucer leurs vœux », nous explique ce marchand de plantes qui s'affaire à gauche et à droite, très content des recettes qu'il va pouvoir réaliser durant cette quinzaine. La clientèle de Jmiâ est particulièrement féminine, tous âges confondus. « Je reçois des clientes de différents âges et de différentes couches sociales. Leurs rangs se voient à travers leurs accoutrements. J'ai affaire à des visages familiers qui ont l'habitude de fréquenter le lieu. Mais, il y en a celles qui viennent uniquement à l'approche de Leilat Al Kadr», nous informe cette vieille «araga», synonyme de vendeuse de plantes, qui semble avoir déjà vu défiler des clientes de tous genres. Les «fokahas» et les «chouwafates» viennent aussi acquérir leurs ingrédients afin de préparer des recettes pour leurs clients. Des plantes dont les noms sont parfois difficiles à mémoriser sont particulièrement sollicitées. Ainsi, «Msail dkar» est le mieux commercialisé. Cette recette est composée d'un assortiment d'herbes qu'on met dans le brasero la nuit de «Leilat al kadr». Elle sert à renforcer les liens d'amour dans un couple ou pour en raviver sa flamme, nous chuchote cette cliente, la quarantaine dépassée, venue elle-même la chercher et qui paraît, a vu d'œil, très connaisseuse du sujet. Et d'ajouter : « C'est moins cher que les autres recettes. En plus, on peut la préparer chez soi sans avoir à payer un fkih. Vous savez les Foukhas en cette période montent au créneau et doublent la facture». La «Tbakhira» est aussi une recette très convoitée par les clients de Jmiâ. Les commerçants semblent en connaître le secret. Il suffit de prononcer le nom pour que le vendeur s'affaire à réunir spontanément les ingrédients. C'est un cocktail de chebba, harmal et autres plantes qui servent à débarrasser l'âme de ce qui l'encombre et la rend souffrante. «Ldoun» est aussi une matière très demandée en cette période. Cette substance solide, le plomb communément appelé, est utilisée pour chasser le mauvais sort et désensorceler les êtres habités par les djins, selon les superstitions. C'est le moins cher et en plus à la portée de tout le monde contrairement aux autres ingrédients. Faisant d'une pierre deux coups, certains commerçants ne se contentent pas de vendre les plantes, ils se transforment en voyants pour l'occasion. Ainsi, deux commerces valent mieux qu'un. Au Habous, pas loin de Jmiâ, l'on constate aussi la ruée vers les marchands d'encens qui longent le quartier. Mesk, oud Lekmari, jawi ou encore a et Loubane sont des matières très sollicitées. En effet, l'encens fait partie des rites de «Leilat al qadr». Les familles marocaines l'utilisent pour accueillir «sidna kdar». Le recueillement sur les tombes le jour de la ziara, le lendemain de Leilat al kadr, n'est pas exclu de pratiques de charlatanisme. Le cimetière constitue aussi un lieu de prédilection pour un charlatanisme assez particulier. D'aucuns creusent un trou dans la tombe d'un mort récemment enterré pour y mettre quelques pièces et ainsi la fortune du mari n'est pas dilapidée selon la croyance. Les anciens cimetières appelés aussi « Roda Mansia» sont également très fréquentés à l'occasion pour empêcher des époux frivoles de se remarier en ayant recours à des hrouz inhumés dans les tombes. Pendant le ramadan, spiritualité et superstition se confondent. Le comble, lettrés et illettrés marchent conjointement dans la voie de la sorcellerie. Comme quoi, alphabète peut aussi être synonyme d'ignare.