Il est quatorze heures. La chaleur torride de l'après-midi n'a pas dissuader les marchands ambulants de se presser pour étaler leurs marchandises sur la chaussée brulante de l'avenue Oued Eddahab, dans le quartier populeux de Saknya, à Kénitra, très animée que d'habitude en ces jours du Ramadan. Désormais aucun véhicule ni moto ne passeront. Les automobilistes le savent bien et acceptent malgré eux cet envahissement. Dans deux heures, l'avenue va grouiller de monde, épaule contre épaule. Un mécanicien dont le garage donne sur l'avenue peste contre ce «désordre «. Il ne peut plus recevoir de clients l'après-midi et la voiture déjà garée devant son garage ne peut plus bouger. Elle doit attendre la nuit ou le lendemain matin. Sur la chaussée, des étalages à profusion, pêle-mêle : légumes, fruits, chaussures, vêtements neufs, fripes, encens, escargots, condiments, ustensiles de cuisine, différentes sortes de jus, pain, Rghaifs, chébakiya etc. Tout y est. La faim et surtout la soif créent l'envie d'acheter plus qu'il n'en fallait au risque, une fois rassasié à l'heure de la rupture du jeune, d'en jeter la plus grande partie. Le malheur, se lamente un vieil homme, chaque jour c'est la même chose. On jure de se contrôler le lendemain, mais rien n'est fait. C'est irrésistible. Durant le Ramadan les gens «mangent avec les yeux», ajoute-t-il désolé. A l'heure de la rupture du jeune, l'avenue va subitement, comme par magie, désemplir et retrouver son calme le temps de satisfaire la faim et la soif de cette longue journée caniculaire. Elle reprendra peu de temps après son animation jusqu'à une heure tardive de la nuit. Mais cette fois-ci ce sont les marchands des casse-croutes, des jus et fruits qui marqueront leur présence. La kissarya qui porte le même nom que l'avenue connaît la même effervescence. C'est peut-être la raison qui fait que ses commerçants ne semblent guère incommodés par la concurrence que leur livrent les marchands ambulants exposant leurs marchandises sur la chaussée. Les bienfaits de Dieu sont incommensurables et chacun reçoit ce qui lui est prédestiné, dit un commerçant résigné. Tout près de là, à une cinquantaine de mètres, pas moins de six cafés, distant à peine de quelques mètres l'un de l'autre, sont pleins à craquer. C'est exclusivement la gente masculine qui y trouve place. Autour des tables, des gens de tous âges jouent aux cartes, aux dominos ou devisent tout simplement pendant de longues heures. La plupart jusqu' au s'hour (dernier repas de la nuit). «Je préfère rester éveillé jusqu'au s'hour. Si je m'assoupie, il me serait difficile de me réveiller et de manger», dit un jeune en train de jouer aux cartes avec des amis. D'ailleurs, reprend-il, mes parents font la même chose. Ils craignent de piquer un roupillon et de rater le repas du s'hour. C'est mieux de dormir d'un seul trait et c'est bon aussi pour la santé, acquiesce son équipier. A Kénitra, il n'y a pas vraiment de traditions culinaires propres à la ville. La ville ressemble à une auberge espagnole, on y trouve ce qu'on y apporte. La plupart des familles qui s'y sont installées viennent de plusieurs régions du Royaume et apportent avec elles leurs us et coutumes. Certes, certaines familles ont su garder leurs traditions, mais la plupart se contentent, pour le ftour, du traditionnel bol de harira, de dattes et de chebakya que l'on peut acheter à tout coin de rue. Le nombre de repas et les mets cuisinés pendant de Ramadan diffèrent d'une famille à l'autre et dépendent du niveau de vie de chacun. Cependant, comme dans le reste du Royaume, la ferveur qui anime habituellement les fidèles durant ce mois sacré pousse les gens à fréquenter en masse les mosquées, particulièrement le soir pour ne pas rater les Taraouih et se rapprocher encore davantage de Dieu.