Bicher Bennani, directeur aux éditions Tarik, estime que le secteur de l'édition est géré «d'une manière artisanale au Maroc». Pour ce professionnel de l'édition, la situation se dégrade aussi bien au niveau des titres publiés que des ventes des ouvrages… à peine 1000 éditions pour chaque exemplaire et encore, 3000 pour les best-sellers… « C'est catastrophique», s'indigne Bicher Bennani qui estime qu'il est urgent plus que jamais de mettre sur pied une véritable politique du livre au même titre que ce qui a été fait pour les autres secteurs productifs. Al Bayane : Quel diagnostic faites-vous de la problématique du secteur de l'édition au Maroc ? Bicher Bennani : Le diagnostic du secteur, qui connaît depuis déjà longtemps une fermeture en série des maisons d'édition et des librairies, est d'ores et déjà établi. D'aucuns estiment qu'il est géré d'une manière artisanale: très peu de bibliothèques publiques et de salles de lectures dans les écoles, manque de soutien au livre et d'incitation à la lecture, absence d'études de marché et de statistiques fiables, désorganisation de la chaîne de distribution, absence de formation continue des libraires et des éditeurs…etc. C'est un secteur qui souffre depuis plusieurs décennies déjà. La situation se dégrade aussi bien au niveau des titres publiés que des ventes des ouvrages…1000 éditions pour chaque exemplaire et encore, 3000 pour les best-sellers… c'est catastrophique, et les indicateurs et les chiffres sont là pour en témoigner. Mais attention, ça ne veut pas dire que les Marocains ne lisent pas, seulement rien n'a été fait, -je vise là les responsables du ministère de la culture- pour favoriser une culture du livre. Actuellement, il n'existe pas de politique nationale du livre et nous réclamons cela depuis des années. Il n'ya pas de bibliothèques dans les villes, dans les communes, un manque accru de livres, un programme scolaire vide, c'est une spirale négative, d'années en années, c'est la régression. Y'a-t-il un équilibre à trouver entre l'Etat et l'initiative privée ? Oui ,c'est clair, l'Etat doit favoriser au maximum l'initiative privée. Il n'a pas un rôle actif à jouer ; il doit être un régulateur. L'Etat n'est pas un expert, et il ne doit pas empiéter sur le territoire des éditeurs. L'idéal et l'équilibre qu'il faut trouver c'est que l'Etat doit être un facilitateur de travail pour les maisons d'édition. Il pourrait leur commander des livres, créer plus d'événements que le SIEL de Casablanca, mais aussi et j'en reviens à ma première revendication, créer des bibliothèques dans les communes, des bibliothèques de quartiers, des bibliothèques dans les zones rurales. Pousser le ministère de la culture à inclure une politique nationale du livre dans les programmes scolaires. Si la lecture publique s'installe dans nos mœurs tout le reste suit. En gros, l'Etat ne doit surtout pas se substituer aux éditeurs. Il doit être entièrement à l'écoute des professionnels, à leurs besoins et attentes. Ce n'est qu'ainsi que l'éditeur pourra développer ses connaissances, étendre son savoir-faire. Quels sont les mécanismes qui permettent selon vous de faire fonctionner les synergies nécessaires à un financement pérenne pour l'action culturelle au Maroc ? Je suis contre tout ce qui est subventions directes sur les livres. L'action pérenne la plus propre, la plus appropriée, serait de développer une politique nationale du livre. Je le dis et je le répète, rien ne peut se faire sans un programme concret sur le développement de la culture du livre au Maroc. Je vous donne un exemple des plus concrets. En Tunisie, il y'a 15 ans de celà, ils n'avaient pas d'éditeurs, de librairies, de bibliothèques… aujourd'hui ils nous ont largement devancé. Ils possèdent entre 200 et 300 maisons d'éditions. Vous imaginez un peu…Et c'est tout simplement parce que l'Etat s'est mis à acheter des livres à ce moment là, à investir dans des infrastructures adaptées, à promouvoir les auteurs nationaux, et toute la machine a suivi après. A chacun de mes voyages à l'étranger, de ma collaboration dans des salons internationaux, j'en reviens choqué. On est très mal représenté à l'étranger. Je me retrouvais à chaque fois avec 6 ou 7 éditeurs ; alors que l'Algérie et la Tunisie en envoyaient 30 à 40… c'est scandaleux. Eux, ils ont tout compris. Ils ont répondu aux besoins du marché, réussi à intégrer et à développer une culture du livre au sein de la société. Et là je ne parle même pas du suivi, de promotions d'écrivains nationaux… Chez nous au Maroc, si vous demandez à un lycéen, s'il a lu le dernier Tahar ben Jellloun, et s'il connaît Fatima Mernissi, Hassan Bourkia ou encore Ahmed Sefrioui, il va vous répondre pas la négative. Vous savez pourquoi, parce qu'on n'a tout simplement pas pu développer l'imaginaire chez eux. Et l'imaginaire se développe grâce à la lecture, à la découverte de l'auteur, de son monde. C'est le développement de l'expertise publique à travers le développement des connaissances culturelles.