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Une vie pleine d'abnégation et de sacrifices
Publié dans Albayane le 12 - 08 - 2024


Le patriote révolutionnaire
Fils de Si Said, son père, et de Fatima Ben Amar, sa mère tangéroise, Ali Yata, qui a vu le jour dans la ville du Détroit, devait recevoir, dès son jeune âge, à Tanger une bonne éducation, sous le regard bien veillant d'un Alem qu'il respecte profondément tout au long de son existence, Si Abdallah Guennoun.
La famille Yata s'installe en 1933 à Casablanca, dans les demeures toutes neuves à l'époque de la Nouvelle Médina, au 5, place de la Mosquée. Le jeune Ali suit en parallèle les cours du Lycée Lyautey et ceux de maîtres et nationalistes de la première heure comme Si Bouchta Jamai ou Ahmed El Chinguitti, qui lui donnent à la fois une culture arabo-islamique de grande qualité, l'amour du Maroc et la volonté de lutter pour son indépendance et sa souveraineté.
Sous la tutelle de Bouchta Jamaï, Ali Yata est un membre actif des premières cellules du Parti National à Casablanca, (Hizb Al Watan), dès 1940, avant d'adhérer au Parti communiste marocain, (dominé à l'époque par des militants français) en décembre 1943, tout en continuant à entretenir des relations étroites avec les membres du Parti National. Cela lui donne notamment l'occasion d'assister, en 1942, chez Bouchta Jamai à Casablanca, à une réunion au cours de laquelle Ahmed Balafrej fait le compte rendu des contacts entretenus avec certains responsables allemands, dont Von Ribbentrop. De même, Ali Yata signe, à titre personnel, la pétition qui accompagne le Manifeste de l'Indépendance (11 janvier 1944) même s'il est déjà un militant ardent du communisme, enthousiasmé, selon ses propres paroles, par la victoire de l'Armée Rouge sur les armées hitlériennes à Stalingrad.
Voici ce qu'écrit le professeur René Galissot, spécialiste des mouvements ouvriers en Afrique du Nord, sur le parcours initial d'Ali Yata au sein du PCM : «A l'école du quartier du Maârif, Michel Mazzella fit la connaissance d'un jeune enseignant d'arabe : Ali Yata, qui participait aux cercles de jeunes nationalistes marocains avant d'adhérer au parti communiste. Quand en juillet 1944, Léon Sultan s'engagea dans l'armée française de débarquement en Europe, c'est sur Mazella et Henri Lafaye qui suivait surtout l'action syndicale, que reposa la direction du parti communiste ; en février 1945, Ali Yata entrait au secrétariat du parti communiste. L'infléchissement du mouvement communiste dans les trois pays d'Afrique du Nord comme ailleurs, amorcé à l'été 1946, poussait à une meilleure représentation des nationaux aux côtés des « Européens » dans les instances du parti et des syndicats. C'est alors Ali Yata qui présenta le rapport politique au comité central des 3 et 4 août 1946, évoquant la fin du Protectorat et l'élection d'une Assemblées nationale souveraine».
Comme dirigeant du Parti communiste marocain, il connait les prisons du colonialisme français, à Casablanca (Ghbila), Alger (Barberousse), Marseille (Les Baumettes), Paris (Fresnes, la Santé) avant de « fréquenter », au temps des années de plomb, celle de Derb Moulay Chérif (1963), ou encore El Alou (1969-1970), en tant que Secrétaire général du Parti de la Libération et du Socialisme, (PLS).
Ceux qui écrivent donc qu'Ali Yata était « un Algérien » commettent une erreur, parce que celui-ci a toujours montré son attachement au Maroc, dès son plus jeune âge. C'est d'ailleurs pour cette marocanité intransigeante et irrévocable que le romancier algérien Kateb Yacine, lui écrit dans la dédicace de son roman Nedjma, paru en 1956 : « À Ali Yata, à qui je ne pardonnerai jamais d'avoir préféré le Maroc à l'Algérie ».
D'autres faits et témoignages attestent amplement de cet amour patriotique pour le Maroc qu'Ali Yata ressentit tout au long de sa vie. Trois d'entre eux méritent peut-être une évocation plus précise. Le premier de ces faits est l'inculpation par le Tribunal militaire de Paris, en 1952-1953 d'Ali Yata pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de la République française. Ali Yata était alors emprisonné à Fresnes, puis à la Santé et le procureur de la République réclama à son encontre la peine de mort, présentant l'inculpé comme « un dangereux communiste et agitateur » qui avait pour objectif d'arracher l'indépendance du Maroc.
Le dirigeant communiste marocain, qui est exilé de son pays natal jusqu'en 1957, sur ordre du Résident général Juin en 1952, est parmi les trois personnalités à bénéficier de la nationalité marocaine par décision de Mohammed V et de Hassan II, alors prince héritier, pour leur engagement dans la lutte pour le recouvrement de la souveraineté du Maroc. Ce Dahir royal est publié au BORM en date du 6 septembre 1958 et concerne Mouloud Mammeri, originaire de Kabylie, précepteur d'Hassan II, Abdelkrim Khatib, né à El Jadida d'une famille originaire de Mascara, dans l'ouest algérien, et Ali Yata.
Enfin, pour clore ce rappel sur le parcours patriotique d'un authentique fils du peuple marocain, voici des extraits d'une conférence de presse tenue le 8 mai 1973 au Club de l'Union des Ecrivains du Maroc à Rabat par Ali Yata, alors secrétaire général du PLS clandestin et consacrée à la présentation d'un livre « le Sahara Occidental Marocain ». Il déclare dans son allocution liminaire : « Notre pays est encore amputé d'une importante partie de son territoire, tant au Nord qu'au Sud. En particulier, l'Espagne franquiste maintient sous son joug notre Sahara Occidental et rien, pour l'instant, ne laisse présager qu'elle compte le rétrocéder à la mère-patrie... » et « Les puissances impérialistes et néo-colonialistes encouragent vivement cette opération de rapine alors que certains pays frères semblent la bénir sous cape, ne faisant pratiquement rien pour la mettre en échec... au point qu'il est permis de se demander si d'aucuns ne rêvent pas de voir le Maroc à jamais privé de son Sahara Occidental, ce qui rendrait possible son encerclement, faciliterait sa domestication et permettrait la réalisation de certaines ambitions ».
Les observateurs de la scène politique marocaine estiment que « le communisme et l'idéologie marxiste-léniniste au Maroc se sont identifiés au camarade Ali Yata ». Militant de la première heure qui refusait les postes honorifiques, Feu Yata se mettait spontanément du côté de la classe ouvrière, en cette période marquée par tant d'assassinats, d'enlèvements et de scissions successives au sein des principales formations politiques.
Un parti d'authentiques résistants
L'écrivain et journaliste Bahi Mohamed Ahmed écrivait : « en ces années de grandes turbulences, nous avions la profonde conviction que le leader révolutionnaire idéal pour le Maroc s'appelai bel et bien Ali Yata. Nous voyions en lui l'homme de principes qui a toujours su se placer au-dessus de la mêlée. La majorité écrasante des jeunes Marocains de cette époque penchaient vers les idées révolutionnaires, l'idéologie marxiste- léniniste et les idées socialo-communistes perçues comme l'unique alternative possible pour sortir le pays de son marasme et le peuple de ses souffrances ».
Dès qu'il a pris les commandes du parti communiste marocain, après le décès en 1945 de Léon Soltane, son fondateur, Ali Yata s'appliquera, d'abord, à donner à ce parti un cachet purement marocain. Son souci était de marocaniser le parti communiste marocain (PCM) et surtout vulgariser ses idées et sa doctrine politique et philosophique, grâce au ralliement de centaines d'ouvriers, d'agriculteurs et d'intellectuels de tous les horizons.
Le Parti Communiste marocain n'était encore, à cette époque qu'une simple section relevant du parti communiste français (PCF) et les Marocains y étaient tout simplement interdits. En effet, pour reconnaître officiellement le PCM et lui accorder son récépissé, l'administration coloniale avait exigé qu'aucun Marocain, aucun arabe et aucun musulman ne devait y adhérer. Et c'est ce qui explique, dans une large mesure, que les premiers membres de ce parti étaient essentiellement des Français, si ce n'est des juifs marocains.
Mais c'est Ali Yata qui allait finalement défier la résidence française en permettant à cette nouvelle structure de jouer un rôle déterminant dans la vie politique marocaine. C'est encore lui qui mettra en place les fondements juridiques et idéologiques du parti tout en s'efforçant de lui donner une dimension vraiment nationale.
Yata, l'unioniste pragmatique
Au mois d'août 1946, Ali Yata parvient à prendre contact avec feu le Roi Mohammed V. Il fera devant le défunt Souverain un remarquable exposé sur la situation politique au Maroc et les perspectives de l'action qu'il importait de mener, en vue de respecter les droits les plus élémentaires des citoyens marocains. Une audience qui fera date et qui balisera le terrain devant le déclenchement de la résistance nationale, suite à l'exil du Roi militant que fut Mohammed V vers l'île de Madagascar. Moins de deux années après la présentation du manifeste de l'indépendance du 11 janvier 1944, Ali Yata déclare solennellement devant feu le Roi Mohammed V que : «Notre peuple s'oppose à toutes les formes d'exploitation et de soumission des citoyens par l'administration française».
Depuis, Ali Yarta n'a jamais rien fait que de militer pour l'unification des forces progressistes et de la classe ouvrière marocaine. Fidèle à l'action syndicale unitaire au sein de l'Union Marocaine du Travail (UMT), il s'est toujours opposé à l'émergence de nouvelles structures syndicales susceptibles d'accentuer les divisions et les déchirements de la classe ouvrière. Après avoir lancé plusieurs publications militantes durant les années cinquante, notamment AL Watan et
Al Amal en langue française et dont la direction avait été confiée au Docteur El Hadi Messouak et à Edmond Amran El Maleh, il lance également Al Jamahir en langue arabe dont la direction avait été confiée à Abdallah Layachi et Simon Lévy. Abdeslam Bourquia lancera, de son côté, la revue Al Mabadia (les principes), une revue culturelle et idéologique pionnière.
Durant les premières années de l'indépendance, et même si le Parti Communiste marocain sera interdit par le gouvernement progressiste de Abdallah Ibrahim, Ali Yata lance plusieurs autres publications progressiste, notamment Al Moukafih et Al Kifah Al Watani, parallèlement à l'émergence du parti sous une nouvelle appellation : cette fois il s'appellera le Parti de la libération et du socialisme (PLS). Ce parti sera interdit à son tour vers la fin des années soixante et il aura fallu attendre 1974 pour que Ali Yata sort de la clandestinité sous le nom actuel du Parti du Progrès et du socialisme (PPS).
Dès les années 70 et dans la foulée de la Marche Verte pour la libération du Sahara, Ali Yata se distingue par son pragmatisme. À travers son nouveau quotidien Al Bayane, il lance son nouveau concept fondé de la révolution nationale démocratique. Celle qui devrait, selon lui, mener le Maroc vers la démocratie dans le pluralisme et le respect des principes les plus élémentaires des libertés individuelles et collectives. Déjà, il s'éloignait des idées socialistes traditionnelles importées de l'ex-URSS, s'intégrait à sa société musulmane et faisait tomber son mur de Berlin. Le communisme est déjà abandonné, le socialisme marocain sera inspiré de la réalité du pays ou il ne le sera pas.
Les militants du PPS doivent au camarade Ali Yata non seulement l'existence de leur parti, mais surtout son intégration en tant que partenaire incontournable de la Koutla et des forces nationalistes et progressistes.
ALBAYANE


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