M'Barak TAFSI Dans le cadre de la commémoration du 80ème anniversaire de la création du Parti du Progrès et du Socialisme et contribuant à son tour au débat en cours pour la mise à niveau du code de la Famille, la Fondation Ali Yata a organisé, samedi 2 décembre courant à Rabat, une journée de réflexion sous le thème : « Les principales pistes de réforme du Code de la famille » avec la participation d'institutions, de centres d'études et d'acteurs engagés dans le domaine. En invitant toutes ces organisations et capacités intellectuelles aux avis et positions apparemment inconciliables sur cette thématique, la Fondation Ali Yala a réussi enfin de compte le pari de les avoir réunies ensemble autour de la même table pour discuter et échanger longuement dans un climat de responsabilité et de sérénité sur des sujets qui étaient tabous pour les uns et sacrés pour d'autres. La première séance, qui s'est déroulée sous la modération de Khadija El Baz, membre du Bureau politique du Parti du Progrès et du Socialisme, a été marquée par les interventions de Abdellatif Yousfi, vice-président du Centre Mohamed Bensaid Ait Idder de recherches et d'études, Soumya Moncif Hijji, Secrétaire Générale de la Fondation Ali Yata, Abdellatif El Jabbar Rachdi de la Fondation Allal Fassi et Omar El Maghaibchi, Secrétaire général de la Fondation Abdelkhalek Torres pour l'éducation, la culture et les sciences. Placée sous la modération la défenseure des droits humains de la femme et spécialiste des questions du genre, Rachida Tahiri, membre du Conseil de la présidence du PPS, la deuxième séance a été marquée par la participation de Nouzha Skalli, ancienne ministre en charge des questions de la femme et présidente en exercice du groupe d'Awal Hourriates, d'Abdelmaksoud Rachdi, président fondateur de l'association Chouaala et d'Aicha Alehyane, présidente de l'Union de l'action féminine. Khadija El Baz : une approche de concertation et de participation Abordant le contexte dans lequel ce débat se situe, la modératrice Khadija El Baz a indiqué que ce dernier constitue une contribution à l'enrichissement du chantier social ouvert autour de la réforme du code de la famille, en se fondant sur une approche de concertation et de participation des différentes acteurs. Dans la lettre adressée par le Souverain au Chef du gouvernement, il est notamment précisé que « Nous avons constaté une série de dysfonctionnements dans le Code de la famille, pour lesquels nous appelons à une intervention du mécanisme législatif pour les résoudre ». Et c'est en réagissant à cette invite, a-t-elle dit, que la Fondation Ali Yata participe à ce chantier d'envergure, tout en aspirant à ce qu'il permettra la réalisation des objectifs qui ont été toujours au centre de la lutte de feu Ali Yata que sont la parité, l'égalité homme-femme, la protection des droits des femmes, des enfants et des personnes en situation de vulnérabilité outre le renforcement des acquis en matière de protection des droits et des libertés. Rachid Roukbane a pointé du doigt les différents points de discorde Précisant davantage l'impact espéré de cette rencontre-débat, le président de la Fondation Ali Yata, Rachid Roukbane a pointé du doigt les différents points de discorde qui lui tiennent à cœur et qui méritent qu'on y réponde. Selon lui, toute réforme devra être menée dans le respect des droits humains et des engagement et conventions internationales ratifiées par le Maroc dans ce domaine. Une telle réforme doit être globale et aller au-delà des retouches comme ce fut le cas en 2004. Elle doit porter sur toutes les questions y compris le système d'héritage. Tout projet de réforme réussi doit viser la préservation en premier et dernier ressort de l'intérêt supérieur de l'enfant (légitime ou non), l'interdiction et l'incrimination du mariage précoce des enfants innocent (es), la préservation du droit de garde des enfants par leur mère dans toutes les situations et l'octroi à la mère la tutelle sur ses enfants, à l'instar du père. Il a également estimé juste de convenir d'une division égale des biens acquis par les deux époux au cours du mariage et enfin d'assainir le texte escompté de toute terminologie non respectueuse de la personne de la femme, de son intégrité et de sa dignité ou attentatoire à son véritable statut dans la société en tant que mère et première école d'éducation des enfants. Rachida Tahiri : Pour une réforme « fondée sur une nouvelle philosophie et une autre référence Pour la réussite d'une telle « refonte », il importe de concevoir un nouveau texte fondée sur une nouvelle philosophie et une autre référence que celle définie dans l'article 400 du texte à réviser, lequel article verrouille la loi et la réduit à l'exégèse et à l'interprétation faite dans le cadre du rite malékite, a indiqué pour sa part Rachida Tahiri. Pour elle, il n'y a plus de raison aussi de tout fonder sur le concept d'al-Quiwamah, utilisé par des Foukaha pour prouver la supériorité des hommes sur les femmes. Pour elle, il est temps d'annuler un tel principe qu'il faut remplacer par celui de l'égalité homme-femme. Le Maroc a connu et connait des transformations rapides et la femme marocaine a arraché des acquis importants et réalisé d'importants progrès sur la voix de son autonomisation, a-t-elle martelé, notant qu'elle exerce aujourd'hui toutes les fonctions et tous les métiers y compris ceux considérés jusqu'à une date récente comme étant spécialement réservés aux hommes. Abdellatif Yousfi : «Ne pas se limiter à quelques retouches et à une amélioration de la linguistique» Prenant la parole, M. Abdellatif Yousfi a estimé que toute réforme réussie doit être globale. Elle ne doit pas se limiter à quelques retouches et à une amélioration de la linguistique, mais elle doit aller au fond des choses pour viser à la préservation de la dignité de la femme et à la création d'une société d'égalité, de démocratie et de justice. Pour lui, le débat en cours ne doit pas prendre fin une fois le texte du nouveau Code la famille adopté. Au contraire, le débat doit se poursuivre à travers les différentes forces vives du pays pour vulgariser, sensibiliser et mobiliser les larges couches de la société pour la mise en œuvre du texte adopté et éviter qu'il subisse le même sort que l'actuel document relatif au Nouveau Modèle de Développement. Toujours est-il, il importe en premier lieu de convenir sur le fait qu'il s'agit d'un projet conventionnel et non pas religieux, qui doit chercher à tirer la société vers l'avant et non pas à la faire reculer. Selon lui, le peuple marocain mérité un Code de la famille moderne et en phase aussi bien avec les transformations que la société a connues et connait et les engagements internationaux du Maroc. Pour y parvenir, l'on doit faire preuve de courage pour doter le pays d'un Code à même de contribuer à la consolidation des fondements de l'Etat social dont le gouvernement parle, a-t-il estimé.Suite en Abdeljabbar Rachdi : «il inadmissible de traiter sur le même pied d'égalité un enfant légitime et un autre illégitime» Intervenant au nom de la Fondation Allal Fassi, dont l'apport intellectuel et politique est reconnu de tous, Abdeljabbar Rachdi a estimé qu'il « inadmissible de traiter sur le même d'égalité un enfant légitime et un autre illégitime » pour décourager ceux ou celles qui oseraient jouer des sales tours à des personnes de bonne famille. Lui répondant, nombreux sont les intervenants qui lui ont rappelé qu'il est souhaitable que le recours à l'expertise génétique et à l'ADN soit prévu dans le nouveau texte pour prouver la filiation de l'enfant. D'autres ont proposé dans le même ordre d'idées à obliger le parent récalcitrant (souvent le père) à reconnaitre son enfant pour lui éviter les malheurs de l'enfant « illégitime », terminologie qu'il convient désormais d'abandonner pour une autre antidiscriminatoire de cet enfant innocent. Omar El Maghaibchi : « tenir compte de l'identité du Maroc en tant que pays musulman » Abondant dans le même ordre d'idées au nom de la Fondation Torres, Omar El Maghaibchi a rappelé que toute réforme doit tenir compte de l'identité du Maroc en tant que pays musulman, soumis à l'institution d'Imarat Al Mouminine. Tout en soulignant la nécessité de mettre à niveau le système judiciaire, il a évoqué tous les points de discorde dont le mariage précoce des « mineures » et la perte de son droit de garde de la femme divorcée en cas de re-mariage. Il a toutefois convenu de la nécessité de prioriser l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les situations et d'y insister explicitement dans le projet de texte à adopter. Il a toutefois précisé que les versets coraniques définitifs sont indiscutables en particulier en matière d'héritage contrairement aux lois fondées sur l'Ijtihad comme c'est le cas de Taâcib. Soumya Hijji : «réhabiliter l'institution du mariage» Pour sa part, la secrétaire générale de la Fondation Ali Yata, Soumya Hijji a rappelé la profonde signification des propositions de la fondation et du PPS et qui se proposent selon elle à la réhabilitation de l'institution du mariage, actuellement en crise, et à l'édification du Maroc de l'égalité, de la liberté, de la dignité, de solidarité, de la démocratie et de la justice. Selon elle, il est même scandaleux en l'état actuel des choses que le Maroc continue d'enregistrer à présent des chiffres record de mariages précoces d'enfants innocentes dont la place naturelle est à l'école. Et Hijji d'affirmer que le Maroc, pays musulman, a connu depuis 2004 d'énormes progrès, comme il s'est doté en 2011 d'une nouvelle Constitution avancée, d'un Nouveau Modèle de Développement et aspire à mettre en œuvre l'Etat social dont le gouvernement parle. En débattant aujourd'hui en tant qu'intellectuels illuminés des pistes possibles de la réforme attendue du Code de la famille, les participants ne cherchent en aucun cas à remettre en cause des textes coraniques quelconques, définitifs soient-ils, a-t-elle dit. Bien au contraire, ils ne visent que l'intérêt supérieur de l'enfant, le bien-être et l'harmonie de la famille et de la société. Nouzha Skalli : «décomplexer le débat et de lever la sacralité sur un certain nombre de thématiques» Pour ce faire, Nouzha Skalli a appalé à une refonte de l'actuel Code de la famille, dont l'adoption en 2004 avait constitué en son temps une véritable révolution, car elle avait permis de décomplexer le débat et de lever la sacralité sur un certain nombre de thématiques (héritage, femmes célibataires, avortements clandestins. Elle a ensuite passé en revue une série de données statistiques du HCP sur la famille marocaine, précisant qu'il n'y a pas d'études sérieuses sur le sujet. Tout en se félicitant de l'ouverture de ce chantier de réforme, Nouzha Skalli a estimé que la réforme escompté doit être globale après avoir abrogé l'article 400 qui consacre la référence au seul rite malékite. Abdelmaksoud Rachdi : «l'actuelle version constitue désormais une entrave au développement du pays» Lui succédant, Abdelmaksoud Rachdi a estimé que la réforme du Code de la famille est devenue une nécessité étant donné que l'actuelle version constitue désormais une entrave au développement du pays et à son Nouveau Modèle de Développement. Tout en rendant hommage à la lutte des organisations des femmes marocaines, il a indiqué que le Maroc se doit d'honorer ses engagements internationaux en matière de respect des droits de femmes et des enfants, précisant qu'il est impossible de disposer d'un Etat social sans femme marocaine disposant de tous ses droits pour pouvoir jouer pleinement son rôle. Aicha Alahyane : «rompre avec la mentalité masculine pour une égalité transversale» Intervenant au nom de son association, l'Union de l'action féminine, Aicha Alahyane a loué d'entrée le niveau du débat en cours autour de cette question brulante qu'est la réforme du Code la famille, qui doit avoir pour finalités la rupture avec la mentalité masculine et la réalisation de l'égalité transversale entre l'homme et la femme marocaine, qui exerce toutes les fonctions et tous les métiers. Il ne plus rien laisser au hasard et interdire une fois pour toutes le mariage des enfants qu'il importe désormais de redéfinir comme faisant partie des crimes punis par la loi relative à la traite des êtres humains. Tous les intervenants sont donc convenus de la nécessité de réaliser une réforme globale du Code de la famille en vigueur compte tenu de ses limites et des dysfonctionnements qui entachent désormais son application. Ils ont également poursuivi leurs échanges et leur débat en répondant à toutes les interrogations soulevées.