Le marathon budgétaire a commencé le vendredi dernier par la présentation devant les deux chambres du parlement du projet de loi de finances 2024. C'est un moment privilégié dans la vie démocratique dans la mesure où la loi de finances n'est pas n'importe quelle loi. C'est à travers ce texte que l'on mesure les véritables intentions du gouvernement, que l'on évalue sa politique et ses choix dans plusieurs domaines touchant directement la vie des populations. C'est une occasion pour le gouvernement de montrer aux citoyens la sincérité de ses engagements pris dans le cadre de sa déclaration votée par la majorité parlementaire. C'est aussi une occasion pour l'opposition de dévoiler les manquements éventuels de l'exécutif, de ses choix en matière de mobilisation des ressources et de leur affectation sectorielle et territoriale. Et le cas échéant, d'avancer des solutions alternatives. Dans cet échange, il ne doit pas y avoir ni perdant, ni gagnant. En dernière instance, ce sont le pays et la démocratie qui s'en sortiront gagnants. Nous devrions tous apprendre à s'accommoder à cet exercice démocratique qui est seul à même de renforcer notre appartenance à la nation et notre respect de la diversité d'opinions et du pluralisme des idées. Il faut préciser de prime abord qu'une loi de finances, tout comme l'ensemble des politiques publiques, n'est jamais neutre contrairement aux allégations colportées par un certain discours moralisateur et mystificateur. Il faut être naïf pour y croire. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'un gouvernement n'est là que pour servir certaines catégories sociales et rien d'autres comme le laissent entendre les courants nihilistes et les extrémistes de tous bords. L'intérêt national et la nécessité de régulation sociale exigent que des concessions soient faites quitte parfois à prendre aux riches pour donner aux pauvres. Voire, il y a des cas où c'est dans l'intérêt des riches qu'il faut donner plus aux pauvres ! C'est en ayant présent à l'esprit ces considérations méthodologiques qu'il convent de lire le PLF 2024. Ce document qui porte la marque du contexte national et de la conjoncture internationale est élaboré sur la base d'un certain nombre d'hypothèses qui peuvent se vérifier justes comme elles peuvent se révéler fausses et infondées. L'avenir est par définition incertain et la prévision c'est l'art de réduire le degré de cette incertitude. Cette règle est valable pour l'ensemble des hypothèses retenues. La loi de finances, dont le budget général de l'Etat, constitue la composante principale, retrace pour une année l'évolution des dépenses à effectuer et arrête les recettes nécessaires à leur réalisation. Voyons, pour nous limiter au budget général, comment se présentent ces deux éléments dans le PLF 2024 ? Les dépenses du BGE, de l'ordre de 435,7 MM DH sont réparties entre le fonctionnement (64%), l'investissement (27%) et les intérêts et commissions de la dette (8,7%). Une telle structure n'a pas connu de modification notable depuis des années. Les dépenses de fonctionnement, dont 57,8% sont consacrées au personnel, représentent toujours la part du lion. Les dépenses de matériel et divers, dépassant les 110 MM DH, ont évolué selon une courbe ascendante enregistrant cette année une augmentation de 9,7%. Ce qui va à l'encontre des appels lancés par le Chef du gouvernement en vue de réduire le train de vie de l'Etat qui demeure budgétivore. Par ailleurs, le montant réservé aux charges communes enregistre une baisse de 10% par rapport à 2023. Ce faisant, le gouvernement se dirige lentement mais sûrement vers un démantèlement de la compensation pour lui substituer le ciblage à travers le versement des aides directes aux personnes inscrites dans le Registre Social Unifié. Concernant le service de la dette (intérêts plus amortissement), il représente une somme non négligeable, soit 100, 6 MM DH, absorbant ainsi l'équivalent de 80% des recettes d'emprunt. Pour ce qui est des recettes ordinaires estimées à 311,3 MMDH, elles se composent essentiellement des impôts indirects (41,22%) et des impôts directs et taxes assimilées (37,6%). Ensemble, ils représentent près de 80%. Il faut relever cependant que la situation budgétaire du pays demeure fragile pour au moins trois raisons : d'abord, les recettes ordinaires n'arrivent toujours pas à couvrir les dépenses ordinaires ; le solde courant est négatif de 6,3 MM DH. Ce qui signifie en d'autres termes que l'épargne publique est négative ; ensuite les impôts indirects l'emportent largement sur les impôts directs. Les impôts indirects ont l'inconvénient d'être inéquitables et injustes dans la mesure où ils sont payés par tous les citoyens qu'ils soient pauvres ou riches. Par conséquent, ils ne sont pas en conformité avec l'article 39 de la constitution qui stipule : « Tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut, dans les formes prévues par la présente constitution, créer et répartir » ; enfin, faute d'optimiser le potentiel fiscal dont il dispose (entre 9 et 12 % du PIB d'après des estimations émanant de sources crédibles), l'Etat privilégie le recours à l'emprunt estimé à 123, 4 MM DH pour 2024 dont 70 MM DH sont d'origine externe, soit une augmentation de 16 ,67% par rapport à 2023. Ce qui risque d'hypothéquer notre indépendance d'autant plus que ces recettes d'emprunt ne sont pas utilisées pour l'investissement. Bien sûr, on enregistre avec satisfaction un certain nombre de mesures inscrites dans le PLF et qui sont pour l'essentiel des directives royales : 15 MM DH pour la reconstruction des régions touchées par le séisme ; une augmentation conséquente des budgets de la santé et de l'éducation ; aide aux ménages modestes pour l'acquisition de leur logement en rappelant que cette mesure aurait dû voir le jour en 2023 ; 35 MM pour la généralisation de la protection sociale dont 9,5 MM DH pour l'AMO « TADAMOUN » et 25 MM versés sous forme d'aide directe à près de 10 millions de personnes ; poursuite de la mise en œuvre du plan national de l'eau en vue d'assurer la sécurité de la population en eau potable et l'irrigation... Le PLF comporte un certain nombre de masures douanières et fiscales qui sont pour le moins discutables. Sans rentrer dans les détails, nous pensons que le gouvernement a raté le coche au niveau de sa réforme de la TVA. Telle qu'elle est présentée, elle n'est pas recevable puisqu'elle est fondamentalement injuste et relève d'une vision néo-libérale éculée qui ne fera qu'aggraver l'appauvrissement des couches populaires et des classes moyennes. Au lieu de taxer davantage des biens et services vitaux pour le citoyen comme l'eau, l'électricité, les moyens de transport, la voiture économique, ne faudrait-il pas au contraire, suivre l'exemple de certains pays se réclamant de libéralisme pour surtaxer les biens de luxe et les superprofits tout en instaurant l'Impôt sur les grosses fortunes ? Question à débattre ...