Les colombiens avaient été appelés, le 13 mars dernier, à renouveler, pour un nouveau mandat de quatre années, les 296 membres du Sénat et de la Chambre basse d'un parlement tout acquis à une Droite à bout de souffle. Cette consultation qui, à en croire le président de l'autorité électorale colombienne, Alexander Vega, s'était déroulé « dans la transparence et le respect des droits », avait aussi, pour objet, de permettre aux colombiens de prendre part aux primaires des principaux partis afin de désigner le candidat de l'une des trois coalitions de centre-droit, de centre-gauche ou de gauche qui sera candidat à l'élection présidentielle prévue le 29 mai et à laquelle le président Ivan Duque ne pourra pas se présenter. Au terme de cette élection, c'est le sénateur Gustavo Petro qui avait remporté l'investiture du camp de gauche et renforcé, ainsi, sa position de favori au scrutin. Ancien guérillero reconverti au « progressisme » social-démocrate, ce dernier sera opposé, le 29 mai, à Federico Guttierrez qui représente la coalition de Centre-droit dite « Equipe pour la Colombie », Sergio Fajardo, l'ex-gouverneur du département d'Antoquia, qui concourt au nom de la coalition de Centre-gauche dite «Centre espérance» mais aussi Oscar Zuluaga qui représente le «Centre démocratique», au pouvoir, Rodolfo Hernandez, indépendant, et, enfin, la franco-colombienne et ex-otage des FARC, Ingrid Betancourt. La particularité du scrutin du 13 mars dernier a trait au fait qu'en dépit de la violence des groupes armées qui s'est accrue de façon alarmante, ces dernières années, la consultation se serait déroulé dans une « normalité totale » d'après le gouvernement même s'il ressort d'un communiqué des forces armées colombiennes que deux soldats auraient trouvé la mort et que deux autres auraient été blessés dans des attentats à la bombe ayant eu lieu dans le sud du pays. Mais, en tout état de cause, ce «calme» plutôt relatif n'aura été que de courte durée puisqu'à moins de trois semaines du premier tour de la présidentielle, le « clan du golfe », qui est la plus grande mafia du pays, a paralysé pendant quatre jours le nord-ouest de la Colombie en menant une « grève armée » qui a contraint la population au confinement. « Cette démonstration de force sans précédent d'une organisation criminelle » qui, selon un diplomate européen, «n'est pas un bon signe pour la démocratie», a fait suite à l'extradition vers les Etats-Unis, par le gouvernement d'Ivan Duque, de son chef Dario Antonio Usuga dit «Otoniel» et de sa sœur Nini Johana afin d'y être jugés pour trafic de drogue même si la droite s'acharne à attribuer la responsabilité de toutes ces violences au candidat de gauche, Gustavo Petro, en s'attachant au fait qu'il avait été «guérillero» dans sa jeunesse. Sénateur et ancien maire de Bogota, le candidat de la gauche qui briguera, pour la troisième fois, ce 29 mai, la présidence d'un pays réputé pour être le premier producteur mondial de cocaïne, n'a jamais cessé, pour sa part, de dénoncer la collusion entre les élites colombiennes et la mafia locale. Craignant pour sa vie car ses partisans n'ont oublié ni la mort, en 1948, du charismatique leader libéral et candidat à la magistrature suprême de la Colombie Jorge Eliecer Gaitan qui entendait démocratiser la culture, nationaliser l'enseignement et améliorer les conditions de travail des ouvriers et dont l'assassinat avait donné le coup d'envoi de cette période de troubles dite «La Violencia» qui avait perduré jusqu'au milieu des années 1950, ni celle des trois autres candidats à la présidence de la république assassinés en 1990 ni même tous les dirigeants progressistes tombés sous les balles des tueurs à gage, Gustavo Petro est, à en croire le ministre de la Défense, Diego Molano, «un des hommes les mieux protégés du pays». Il tient, en effet, ses meetings publics en s'abritant derrière deux boucliers pare-balles et effectue ses déplacements dans des véhicules blindés escortés par une importante équipe de gardes du corps et une ambulance. Si, en Colombie, la course à la présidence a commencé, rien, pour l'heure, n'indique ni si la violence «mafieuse» ne va pas s'inviter dans le débat politique ni si la gauche va continuer à occuper des strapontins et ne va pas, cette fois-ci, remporter le scrutin et provoquer, ainsi, un véritable « séisme » dans un pays historiquement gouvernée par la droite. Alors, attendons pour voir...