Au lendemain d'une présidentielle ayant révélé un pays fracturé et une extrême droite au plus haut, Emmanuel Macron, réélu dimanche, est confronté à des défis majeurs pour convaincre des électeurs désabusés ou en colère et remporter une majorité aux législatives de juin, dont la bataille s'annonce acharnée. Une « réélection sans état de grâce », résume lundi le journal Le Monde, du fait notamment d'une « abstention proche des records et une extrême droite qui dépasse pour la première fois la barre des 40% ». Le quotidien catholique La Croix juge que la victoire d'Emmanuel Macron – premier président français à être réélu pour un second mandat depuis Jacques Chirac en 2002 – sonne aussi comme un « avertissement ». Le journal évoque une démocratie « plus que jamais en équilibre instable du fait d'un régime présidentiel qui a montré ses limites ». La bataille pour les législatives, les 12 et 19 juin, s'annonce très disputée, alors que la candidate d'extrême droite Marine Le Pen, qui a gagné environ huit points depuis la présidentielle de 2017, a atteint un score historique avec 41,45% des suffrages. Malgré ses 58,5% du second tour, Emmanuel Macron, 44 ans, n'apparaît pas en bonne position pour remporter une majorité parlementaire et avoir les mains libres pour mener sa politique. Il a fait irruption il y a cinq ans dans l'arène politique en surfant sur le délitement des grandes formations traditionnelles. Son parti, La République en marche (LREM), même s'il a conquis la majorité à l'Assemblée nationale en 2017, n'est pas bien implanté sur tout le territoire. Une partie des électeurs a voté pour ce centriste libéral uniquement pour faire barrage à l'extrême droite. Dès dimanche soir, lors de son premier discours de victoire prononcé devant la Tour Eiffel, M. Macron s'est d'ailleurs adressé à eux, soulignant avoir « conscience que ce vote (l')oblige pour les années à venir ». S'adressant aussi aux électeurs d'extrême droite, il s'est engagé à trouver « une réponse » à leur « colère et désaccords ». La campagne, marquée par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, a montré une forte lassitude démocratique. Le quinquennat a été jalonné de crises, des manifestations anti-système du mouvement populaire des « gilets jaunes », à la pandémie. M. Macron, souvent qualifié de « président des riches », doit innover dans la pratique démocratique, pour « éviter une +giletjaunisation+ de son quinquennat », juge Jean-Marcel Bouguereau, dans le journal La République des Pyrénées. Car il s'agit là d'une France « polytraumatisée », observe Dominique Diogon du quotidien La Montagne, avec un « grand déclassement qui nourrit un ressentiment explosif ». La carte des résultats dessine en effet deux France. L'une a voté Emmanuel Macron: les grandes métropoles, les classes moyennes supérieures et les retraités. Et l'autre a choisi Marine Le Pen: plus populaire, se sentant souvent exclue, particulièrement dans le nord-est et le pourtour méditerranéen. Avec plus de 60% de voix, Marine Le Pen a par ailleurs réalisé des scores historiques en outremer. Face à ces profondes divisions, Emmanuel Macron a promis dimanche soir une « méthode refondée » pour gouverner la France. On « veut aller (…) beaucoup plus fort sur un certain nombre d'enjeux, notamment la question du pouvoir d'achat » et « l'enjeu climatique », a expliqué lundi le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. « Cela veut dire (…) inventer une méthode nouvelle qui permet d'associer beaucoup plus largement et beaucoup plus directement les Français dans les décisions qui sont prises ». Face à M. Macron, les deux autres gros blocs politiques se sont déjà lancés dans la bataille. Dimanche soir, Mme Le Pen, qui a placé la « priorité nationale » au coeur de son projet, a vu dans son score inédit « une éclatante victoire » et la manifestation du « souhait » des Français d' »un contre-pouvoir fort à Emmanuel Macron ». A l'opposé de l'échiquier politique, le dirigeant de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième au premier tour et fort de ses près de 22%, a fait de ces législatives un « troisième tour ». « Un autre monde est encore possible si vous élisez une majorité de députés de la nouvelle union populaire qui doit s'élargir », a-t-il lancé. A l'étranger, la réélection de M. Macron constitue un soulagement pour les partenaires de la France, de Berlin à la Commission européenne, en passant par les Etats-Unis de Joe Biden, qui s'est dit « impatient de poursuivre » la coopération avec Paris pour « défendre la démocratie ».