Domination des films produits par les plateformes de streaming A l'issue d'une année cinématographique marquée par la réouverture des salles de cinéma et un déluge de films produits par les plateformes de streaming, dix oeuvres sont en lice dimanche soir pour l'Oscar du meilleur long-métrage, récompense suprême à Hollywood. Les votants de l'Académie des arts et sciences du cinéma qui décernent ces trophées avaient l'embarras du choix pour la 94e édition, entre western sombre et psychologique, méditation japonaise sur le deuil, comédie musicale ou space opera épique entre désert et vers géants. Voici les films en lice – par ordre alphabétique pour éviter de faire des jaloux: Belfast Film le plus court et le plus intimiste parmi les candidats, « Belfast », inspiré à Kenneth Branagh par son enfance dans les violences nord-irlandaises de la fin des années 1960, a longtemps été considéré comme l'un des poids lourds de cette édition. Il décrit ces « troubles » qui déchirent les communautés catholiques et protestantes du point de vue d'un gamin de neuf ans dont le quotidien et le paisible quartier ouvrier sont soudainement bouleversés par cette flambée de violences. Buddy ne comprend pas très bien ce qui se passe dans sa rue mais une chose est claire: il ne veut pas quitter le seul endroit qu'il ait jamais connu et où il a tous ses amis. « Belfast » a remporté un nombre respectable de prix durant cette saison mais semblait avoir perdu un peu de son élan dans la dernière ligne droite menant à la cérémonie des Oscars. CODA Autre drame familial intimiste, « CODA » suit une lycéenne, Ruby, fille entendante d'une modeste famille de marins-pêcheurs dont tous les autres membres, les parents et le frère, sont sourds. Le film est une adaptation du succès français « La Famille Bélier » mais contrairement à l'original, dans ce remake les rôles principaux sont tenus par des acteurs professionnels réellement sourds eux aussi. De nombreux dialogues se font en langue des signes, que l'actrice jouant Ruby (Emilia Jones) et la réalisatrice Sian Heder ont apprise pour l'occasion. Célébré pour cette représentation authentique du handicap, « CODA » a aussi séduit un nombre croissant de spectateurs par sa charge émotionnelle et la complexité des relations que Ruby entretient avec sa famille, très aimante mais totalement dépendante d'elle pour interagir avec le monde des entendants. Encore considéré comme un petit poucet ces dernières semaines, « CODA » s'est lentement imposé comme un gagnant potentiel en remportant successivement le prix du syndicat des acteurs américain (SAG Awards), puis celui de l'association des producteurs (PGA). Don't Look Up Parabole grinçante sur la crise climatique, « Don't Look Up: Déni Cosmique » est incontestablement le film qui aligne cette année le plus grand nombre de stars. Leonardo DiCaprio, Meryl Streep, Jennifer Lawrence et Ariana Grande font partie des vedettes qui risquent d'être éradiquées de la surface de la Terre par une comète fonçant à toute vitesse vers notre planète, dans une indifférence quasi-générale. Le film conçu par Adam McKay a été l'un des plus regardés de l'histoire sur la plateforme Netflix mais sa critique acerbe de la passivité de notre société et de l'incompétence des dirigeants politiques ont reçu un accueil mitigé. Drive My Car Avec près de trois heures d'images, le drame japonais « Drive My Car » est le plus long film en lice dans la catégorie, une oeuvre lente et subtile sur le chagrin et le deuil inspirée par trois nouvelles de Haruki Murakami. « Drive My Car » a conquis les cinéphiles, récoltant de nombreux prix décernés par les critiques professionnels, et confirmé que les sous-titres ne sont plus un obstacle à Hollywood, comme le film sud-coréen « Parasite » l'avait déjà montré voici deux ans en étant sacré aux Oscars. Le film de Ryusuke Hamaguchi devrait s'imposer dans la catégorie du meilleur film international mais semble avoir peu de chances pour l'Oscar du meilleur long-métrage. La fresque de science-fiction épique est le poids lourd financier de cette édition: il a récolté plus de 400 millions de dollars au box office mondial, contre 220 millions au total pour ses neuf adversaires réunis. Dune Conçu dès le départ par le réalisateur Denis Villeneuve pour compter un second volet, « Dune » reprend fidèlement l'intrigue de la première partie du roman écrit par Frank Herbert en 1965. Dans cette saga interplanétaire, familles aristocratiques et potentats sans scrupules s'affrontent pour le contrôle de « l'épice », un mystérieux mélange indispensable aux voyages spatiaux mais qui ne pousse que sur une planète inhospitalière, entièrement recouverte de sables brûlants et parcourue par de redoutables vers géants. Le film est surtout sélectionné dans des catégories techniques (effets spéciaux, décors, photographie, etc.) et souffre d'un handicap de taille: aucune oeuvre de science-fiction n'a encore triomphé aux Oscars depuis leur création en 1929, malgré des phénomènes comme « 2001, l'Odyssée de l'espace » ou la saga Star Wars. La Méthode Williams Biopic sur l'incroyable ascension des championnes de tennis Serena et Venus Williams, avec dans le rôle de leur père entraîneur Richard le toujours populaire Will Smith, ce cocktail gagnant a séduit un grand nombre de fans. Will Smith tient une performance toute en nuances dans un film qui s'attache plus à cette famille hors-normes qu'aux simples exploits sportifs des soeurs Williams, et évite du même coup nombre de clichés. S'il ne triomphe pas dans la catégorie du meilleur long-métrage, « La Méthode Williams » a au moins de bonnes chances d'offrir un Oscar à Will Smith. There Will Be Blood Paul Thomas Anderson, le scénariste réalisateur à l'origine de « There Will Be Blood » et « Boogie Nights », est l'un des chouchous d'Hollywood. Dans son dernier film, il rend un hommage à la San Fernando Valley qui l'a vu grandir, dans le nord de Los Angeles, avec comme fil rouge une improbable rencontre entre une jeune femme un peu perdue et un lycéen entreprenant. Licorice Pizza Explorant une série de cartes postales rétro des années 1970, « Licorice Pizza » propose une collection de saynètes un peu décousues, rêveuses, nostalgiques et éclairées au néon, mais qui, même pour les fans de « PTA », n'est pas tout à fait au niveau de ses précédents films. Nightmare Alley Autre film d'un cinéaste reconnu qui ne tient pas toutes ses promesses, « Nightmare Alley » parvient certes à aspirer le spectateur dans une atmosphère de fête foraine macabre à la mise en scène soignée et pleine de style. Mais ce film très noir réalisé par Guillermo del Toro, sur un « mentaliste » qui utilise ses astuces pour escroquer de riches clients, ne devrait pas rééditer l'exploit du précédent film du réalisateur mexicain, « La Forme de l'eau », qui avait triomphé aux Oscars. Depuis sa présentation en septembre dernier au festival de Venise, le western sombre et psychologique de Jane Campion est considéré comme le favori. The Power of the Dog Adapté d'un roman de Thomas Savage, « The Power of the Dog » met en scène la masculinité nocive de cowboys incapables d'assumer leur sexualité dans le Montana des années 1920. Le film est en lice dans douze catégories des Oscars et a raflé la majorité des trophées décernées par les professionnels et critiques d'Hollywood. Entre ses vedettes, en tête desquelles Benedict Cumberbatch, ses paysages néo-zélandais grandioses, son intrigue à suspense et ses non-dits lourds de sens, le film coche quasiment toutes les cases d'un vainqueur aux Oscars. Mais son rythme lent et ses ambiguïtés ont laissé froids certains votants. Or l'étrange mode de scrutin « préférentiel » à plusieurs tours utilisé par les Oscars pour cette catégorie a tendance à privilégier les films consensuels, ce qui pourrait coûter la victoire au favori. La décision de Steven Spielberg de faire un remake de la comédie musicale la plus récompensée aux Oscars avait laissé plus d'un perplexe lors de son annonce. Et même si le film a recueilli d'excellentes critiques à sa sortie, certains se demandent encore pourquoi le réalisateur légendaire a fait un tel choix. Fan de « West Side Story » depuis l'enfance, Spielberg a insisté pour conserver le récit dans son cadre original, le New York des années 1950. Il a tout de même pris soin d'éviter tous les clichés culturels de l'original en engageant des acteurs latino-américains et en ajoutant des dialogues en espagnol, sans sous-titres. La performance d'Ariana DeBose, qui reprend le rôle phare d'Anita, a fait l'unanimité et devrait lui valoir l'Oscar du meilleur second rôle féminin mais « West Side Story » fait figure d'outsider pour le trophée du meilleur long-métrage.