Deuxième cause mondiale de décès, le cancer est un véritable fardeau pour la société, tellement personne n'en est à l'abri. Pour Dr Bahija Jalal, figure reconnue du domaine bio-médical américain de pointe, la lutte contre ce "fléau du siècle" est une mission de vie. La compagnie de biotechnologie qu'elle dirige vient de signer une percée en oncologie avec le feu vert donné à ses traitements basés sur l'immunothérapie pour le cancer de l'œil avec l'ambition de s'attaquer ensuite à d'autres tumeurs graves. "Ma passion pour la science a commencé à un jeune âge. Et j'essaye chaque jour, avec mes équipes, de repousser les limites de la science pour aider le plus de patients", confie à la MAP, depuis son siège au Maryland, cette scientifique marocaine au long et riche parcours. Depuis trois ans, elle est à la tête d'un fleuron de la biotechnologie britannique côté aujourd'hui à Wall Street avec une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars, avec trois récentes levées de fonds réussies. "De l'adversité peut naître le bien si nous en faisons le choix", aime à répéter cette native de Casablanca en 1961. Et pour cause: sa passion pour la science est née après le décès de son père. "On pense que c'était une erreur médicale", se remémore-t-elle la gorge nouée. Depuis ce jour, Jalila, à peine neuf ans, est devenue "davantage curieuse pour tout ce qui a trait à la science". "J'essayais de comprendre. Ensuite, je voulais aider le plus de patients. Mais c'est à Paris où j'ai découvert l'univers de la recherche scientifique et comme presque tout le monde, j'ai aussi dans ma famille des personnes atteintes du cancer, ce qui m'a davantage motivée pour continuer afin d'aider le plus de gens possible", dit cette maman de deux filles, et qui est mariée à un scientifique. Au terme d'un baccalauréat au lycée Chawki à Casablanca et deux ans dans une université à Rabat, c'est en France en effet que Jalila a scellé un brillant parcours en recherche biologique à l'Université de Paris VI. Elle était soutenue et motivée, comme pour le reste de ses frères et sœurs, par une mère qui, bien que n'ayant jamais été sur les bancs de l'école, est convaincue dur comme fer qu'il faut aller jusqu'au bout de son éducation et de ses rêves. Après la France, cap sur l'Allemagne pour rejoindre l'institut de biochimie Max-Planck à Munich. C'est là que commence la spécialisation dans les thérapies ciblées (targeted therapy) contre le cancer du sein. Et c'est en Californie que commence l'aventure américaine avec l'ambition constante d'innover dans le domaine des biotechnologies "pour créer des médicaments et aider les gens". Intelligente, passionnée et surtout travailleuse, la scientifique marocaine gravit les échelons en passant par plusieurs sociétés de recherche en médicaments, dont le laboratoire MedImmune, filiale du groupe AstraZeneca, où elle a passé 13 ans, couronnée par le poste de présidente de la compagnie. Les bienfaits de l'immunothérapie "C'est là où j'ai eu la chance de faire partie d'une percée importante dans le traitement du cancer grâce à l'immunothérapie", explique le Dr Jalal, se réjouissant de ces traitements qui peuvent prolonger considérablement la vie des patients. "Nous sommes en train d'assister à une nouvelle ère où le cancer peut devenir une maladie chronique plutôt qu'une maladie qui tue", se félicite-t-elle en évoquant ce traitement en plein essor dans le monde de l'oncologie qui ne cible plus directement les cellules tumorales, mais le système immunitaire du patient afin de restaurer une immunité anti-tumorale efficace. Après avoir réussi avec son équipe chez Medimmune à développer plusieurs produits déjà disponibles sur le marché, elle a été engagée par Immunocore en 2019 où elle est parvenue à mettre à profit davantage la technologie de l'entreprise sur l'immunothérapie. "Je suis à la fois émue et heureuse parce qu'on a développé un traitement pour le cancer du mélanome de l'œil. C'est une percée après 40 ans de recherche dans ce domaine", précise Dr Jalal qui se dit fière du feu vert accordé par l'autorité américaine de régulation des médicaments (FDA) pour commercialiser ce premier traitement, suivi de celui de l'Union européenne, en attendant l'accord de la Grande Bretagne et celui du Canada qui sont en cours. Cette technologie qui combat les tumeurs d'une manière que les anticorps ne peuvent pas, est d'autant plus importante, dit-elle, car ni la chimiothérapie ni la première vague de traitement d'immunothérapie n'étaient efficaces. La scientifique marocaine a été invitée par le président américain, Joe Biden, alors vice-président sous l'administration Obama, au lancement d'un programme pour améliorer la détection et la prévention du cancer. Biden, dont le fils est décédé d'un cancer en 2015, vient d'annoncer un nouveau plan pour réduire le taux de mortalité par cette mortalité d'au moins 50% au cours des 25 prochaines années. Leader dans l'industrie biomédicale, le Dr Bahija Jalal, qui est membre, entre autres, du conseil d'administration de la prestigieuse université américaine John Hopkins, est surtout une voix forte en faveur de la diversité et de l'inclusion des femmes et l'encouragement des filles à intégrer le monde des sciences. « La diversité est importante pour l'innovation", assure la présidente de la compagnie de biotechnologie dont elle veille à garantir une bonne représentation des femmes tant au sein des équipes scientifiques que du conseil d'administration. Interrogée sur ses liens avec son pays natal, le Dr Jalal se dit "très attachée au Maroc qu'elle avait certes quitté après son bac mais où toute sa famille vit. Je suis de près ce qui s'y passe". « J'adore le Maroc et je suis énormément fière de la gestion de la pandémie du Covid", tient à relever la scientifique, assurant surtout qu'elle est disponible à favoriser « des collaborations, à aider les jeunes chercheurs et à redonner en retour au pays qui m'a ouvert la voie ».