Juin 1988. Alger abritait le sommet arabe extraordinaire qui devait traiter du soutien à apporter à l'Intifada palestinienne. A l'occasion de ce sommet, feu S.M le Roi Hassan II, effectuait sa première visite en Algérie depuis la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en 1976, et derrière cet évènement se profilait déjà un autre, le sommet de Zeralda qui a réuni les cinq chefs d'Etat maghrébins de l'époque, prélude à la naissance de l'UMA à Marrakech. Rabat et Alger venaient, un mois auparavant (mai 1988), de reprendre leurs relations et tout le monde se mettait à espérer une solution au conflit du Sahara qui rendrait à la région sa sérénité. Une forte délégation de journalistes marocains était du voyage et le hasard ou la volonté de l'encadrement a voulu que dans un hôtel à Mazafran, banlieue d'Alger, je partage la chambre avec feu Nadir Yata. Déjà bien en vue, mais encore plus un nom, qu'il doit à son père Feu Si Ali, qu'un prénom. Nadir lisait un roman, « Samarcande » d'Amine Maalouf, qui venait de sortir en librairie, en mars 1988, et n'était pas encore disponible au Maroc. Je lui fis savoir que j'aimerais le lire et il me le passa à condition que j'en aie terminé avant la fin du voyage. Ce n'était pas la première fois que je le rencontrais et on avait déjà eu l'occasion de polémiquer, lui dans Al Bayane, moi dans L'Opinion. Mais c'était bien la première qu'on allait, pendant 3 ou 4 jours, devenir inséparables. Son coté blilng bling qu'il partage ben avec son jumeau Fahd ne m'était pas inconnu, mais je découvris l'homme dans sa sobriété, blagueur, bon vivant, d'agréable compagnie, et surtout un confrère partageur, sans calculs ni arrière-pensée. Son coté cash va le faire aimer de certains, détester d'autres, avoir des admirateurs, fans on dirait aujourd'hui, des détracteurs qui vont voir en lui, en ces débuts de négociations difficiles et serrées entre l'opposition et le pouvoir qui vont aboutir dix ans plus tard à l'alternance consensuelle, le défenseur d'un « participationnisme sans conditions ». C'est lui, ses écrits et ses prises de position qui vont faire du journal Al Bayane enfin un journal lisible et un support lu. Son billet au titre éloquent qui résumait tout son positionnement à contrepied, Mais dit l'autre..., devint rapidement un rendez-vous quotidien attendu, scruté, analysé : Etait-ce lui qui s'exprimait ? Son parti, le PPS ? Le pouvoir qui faisait passer ou tester quelques une de ses idées ? Difficile de trancher, mais on ne serait pas loin de la vérité si on disait peut-être tout ça à la fois. Plus tard, son passage à l'émission phare de l'époque, toute nouvelle, « L'Homme en question » sur 2M, le propulsera comme jamais un journaliste marocain avant lui, sur le devant de la scène médiatique au Maroc. L'interview que lui accordera le président Américain, Georges Bush père, pour « s'expliquer » sur la guerre du Golfe, un comble pour le représentant du journal d'un parti alias communiste, ne lui fera pas que des amis. Sous les sunlights, entourés d'admirateurs qui ne lui marchandaient pas leur soutien, mais aussi de moins-admirateurs qui supportaient de moins en moins son coté empêcheur de tourner en rond, dérangeur public de leurs calculs politiques ; Nadir de plus en plus sous pression à en devenir irascible, lui déjà connu pour ses colères qui retombaient aussitôt comme un soufflet, supportait de plus en plus difficilement cette tâche qu'il s'était confiée, résolu à « déniaiser » une gauche marocaine encore recroquevillée sur ses idiomes en fin de vie. Jusqu'à cette nuit où tomba la nouvelle de son accident par un soir où il ne devait pas prendre la route. Le début de la fin... Deux ans avant que son rêve d'alternance ne se réalisa, aux conditions du pouvoir comme il le préconisait, il quitta ce monde la tête pleine de rêves d'un homme qui a eu le tort d'avoir voulu avoir raison avant l'heure...